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Rusalka se noie

Strasbourg
Opéra national du Rhin
10/18/2019 -  et 20, 22*, 24, 26 octobre (Strasbourg), 8, 10 novembre (Mulhouse) 2019
Antonín Dvorák : Rusalka, opus 114, B. 203
Pumeza Matshikiza (Rusalka), Bryan Register (Le prince), Attila Jun (Vodník), Patricia Bardon (Jezibaba), Rebecca von Lipinski (La princesse étrangère), Agnieszka Slawinska, Julie Goussot, Eugénie Joneau (Nymphes), Jacob Scharfman (Le garde-forestier, Le chasseur), Claire Péron (Le marmiton)
Chœurs de l’Opéra national du Rhin, Alessandro Zuppardo (chef des chœurs), Orchestre philharmonique de Strasbourg, Antony Hermus (direction)
Nicola Raab (mise en scène), Julia Müer (décors), Raphaela Rose (costumes), Bernd Purkrabek (lumières), Martin Andersson (vidéo)


(© Klara Beck)


Que la metteuse en scène allemande Nicola Raab considère l’évocation de la nature comme une exigence prioritaire dans la Rusalka de Dvorák paraît engageant. Une nature omniprésente, inquiétante, essentiellement représentée en vidéo : projections dans une gamme de couleurs restreinte (noir et blanc, gris, sépia, bleu foncé...), tantôt sur un écran en fond de décor, tantôt sur un tulle transparent barrant le cadre de scène. Un beau travail de mise en images signé par Martin Andersson : feuillages en mouvement, pluies et ciels d’orage, vagues et remous d’eau, mais qui ne se contente pas toujours de cette fonction décorative, avec en filigrane d’autres messages visuels qui se superposent : un couple aventureux en crise, confronté lui aussi à cette nature dans laquelle il s’immerge à corps perdu (très belles séquences de plongeons de haut vol au ralenti, et aussi une scène de violence à caractère sexuel dans une cuisine, qui revient plusieurs fois...). Une saturation en images tellement insistante qu’elle pourrait parasiter voire marginaliser l’action principale, si toutefois Nicola Raab s’astreignait à traiter cette dernière de façon linéaire et intelligible. Mais comme c’est loin d’être le cas...


Mieux vaut de se laisser emporter par la beauté du flux, dans les poétiques décors de Julia Müer (des boiseries à la Magritte, alternativement blanches ou noires, plantées au milieu de nulle part), qu’essayer de comprendre. Relations père-filles compliquées entre l’Ondin et sa progéniture, rôle ambigu de la sorcière Jezibaba, mère évidemment castratrice d’une enfant souvent malade, inévitable double enfantin du rôle-titre, petite fille qui impose longuement sa présence énigmatique... Davantage une accumulation de points de vue divergents sur les personnages qu’une mise en scène structurée, avec pour gros défaut de ne réussir aucune caractérisation efficace. Ni l’Ondin, qui promène partout sa silhouette bizarre de Wanderer au chapeau cabossé, ni le rôle-titre, Rusalka impavide et finalement peu attachante, moins Ondine que cas psychiatrique bloqué dans des persévérations d’écriture et des projections fantasmatiques indécodables, ni le Prince, colosse embarrassé de son corps et d’un sempiternel bouquet de fleurs dont il ne sait que faire, ni la Princesse étrangère (un rôle en or pourtant, tellement simple à composer dans sa méchanceté sournoise), n’existent. A force de silhouettes à contour flous, on finit par se désintéresser du sort de tous ces personnages qui n’en sont pas vraiment. Au-delà de l’esthétique soignée de la production, on éprouve l’impression tenace que Nicola Raab passe à côté de l’œuvre, ne nous en livre plus qu’une épure surréaliste, voire glaciale.


L’ensemble fonctionnerait-il mieux avec des voix plus adaptées ? Pourtant le Prince de Bryan Register, Heldentenor taillé pour Tristan, n’a rien de falot dans l’émission, ni la Princesse de Rebecca von Lipinski, qui évite même certains poitrinages de mauvais goût trop fréquents dans ce rôle. Pour ces deux-là c’est vraiment l’absence de finalité claire de la direction d‘acteurs qui pèche. En revanche pour l’Ondin d’Attila Jun, désormais très délabré, ou la Rusalka monotone de Pumeza Matshikiza, aux aigus invariablement poussés et au timbre dépourvu de luminosité, un véritable déficit d’expressivité du chant vient se combiner à l’opacité du propos scénique, avec pour résultat un prosaïsme dissuasif. Davantage de vigueur du côté de la Jezibaba de Patricia Bardon, dont l’aigu bouge beaucoup, mais qui elle au moins parvient à s’affirmer avec un peu plus de punch.


Pauvre Rusalka, chef-d’œuvre de Dvorák tellement attachant, et ici tellement fragilisé, voire qu’une lecture orchestrale inerte aurait pu achever de paralyser. Mais heureusement il y a la vitalité qu’Antony Hermus parvient à insuffler à l’Orchestre philharmonique de Strasbourg. On a rarement l’occasion d’entendre cette formation avec autant de relief dans une fosse à l’acoustique habituellement ingrate : une passionnante lecture, fortement contrastée, riche en plans sonores, qui n’hésite pas à imposer son allant voire ses débordements, au risque non pas de noyer les voix mais de leur voler une prééminence à laquelle certaines paraissent avoir de toute façon renoncé d’emblée. Sans la consolation de cette attrayante interprétation symphonique, on serait sorti de ces trois longues heures de spectacle d’assez grincheuse humeur.



Laurent Barthel

 

 

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