La Légende du Roi Dragon de Lavandier : l’opéra au « participatif » présent

- Publié le 18 novembre 2019 à 23:40
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Après Lille, Bordeaux accueille cette création lyrique mettant en scène 206 enfants des écoles et collèges.

Dominant les océans, le Roi Dragon se meurt. Impuissants devant cette agonie, ses ministres n’ont d’autre idée que d’envoyer le Soldat Tortue quérir, dans le monde terrestre si mystérieux, le coeur d’un lapin, possible remède au mal royal. La mission, en pleine campagne électorale sur terre, ne sera pas un long fleuve tranquille…

De cette vieille légende asiatique brodant sur le mythe du coeur mangé, Arthur Lavandier (né en 1987) a tiré un livret et une partition pour cinq chanteurs solistes, une trentaine de musiciens et… un choeur de quelque deux cents écoliers et collégiens. A Lille où cet ouvrage a vu le jour en mars 2018 comme à Bordeaux où il connaît une seconde vie, les choristes ne se contentent pas de jouer les narrateurs. Ils personnifient par petits groupes le Roi Dragon autour du masque asiatique géant dessiné par Jim Clayburgh, ses gardes, et tout un bestiaire (perroquets, chauves-souris, flamants roses…) que le spectacle vivant et coloré de Johanne Saunier s’emploie à bien caractériser. Le compositeur s’est adapté aux capacités d’enfants âgés de 7 à 12 ans sans formation musicale autre que le travail choral mené en classe durant quelques mois : le tracé est simple, aisé d’intonation, pariant beaucoup sur le rythme et l’exclamation comme en clin d’oeil au pansori — l’art coréen du récit chanté —, sans toutefois tomber dans d’infantiles facilités.

Les solistes viennent enrichir la palette vocale. Les trois ministres se sont vu assigner des emplois de caractère : le mezzo charnu et cuivré d’Adriana Bignani Lesca, le baryton lumineux de Damien Pass, la basse bouffe de Tomislav Lavoie y excellent. Au-dessus, Alix Le Saux explore avec sensibilité le haut plutôt que le grave de sa tessiture dans son rôle assez boy scoot de Soldat Tortue pris dans un conflit entre amitié (pour le lapin) et loyauté (envers le roi), tandis que Marie Picaud (Maître Lapin) enchaîne avec agilité les petits bons graciles dans le suraigu. Si le métier lyrique d’Arthur Lavandier est déjà sûr depuis De la terreur des hommes (2011) et plus encore Le Premier meurtre (2016), c’est dans la fosse que ce brillant orchestrateur et arrangeur, pilier du collectif Le Balcon, montre tout son éclat. Il y déploie une matière foisonnante, active, assez répétitive parfois, où passent de son propre aveu le spectre du Stravinsky du Rake’s Progress et l’écho d’un gamelan balinais. Le jeune Marc Leroy-Calatayud, qui connaît bien cet ONBA dont il vient d’être chef assistant trois ans durant, le mobilise sans difficulté, et surtout sans perdre de vue le plateau, où chaque groupe d’enfants a évidemment l’oeil rivé sur sa main secourable.

On retiendra que huit classes de quartiers populaires bordelais ont découvert et vécu l’opéra en création dans le décor grandiose de Victor Louis, au terme d’une belle aventure collective : un vrai petit « DEMOS » lyrique, dont il restera forcément quelque chose. D’autres maisons seraient bien inspirées de décliner à leur tour ce projet où le « participatif » n’est pas une formule de style.

La Légende du Roi Dragon de Lavandier. Bordeaux, Grand-Théâtre, le 17 novembre. Dernière représentation le 20 novembre.

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