Tant de cinéastes sont sollicités sur les scènes d’opéras aux seules fins de faire le buzz – sans qu’ils aient nécessairement d’affinités avec cet univers – qu’on ne peut que se réjouir de l’entrée de James Gray dans le cénacle des metteurs en scène d’opéras, l’amour du réalisateur pour le genre lyrique étant connu depuis longtemps. Sa mise en scène des Noces de Figaro au Théâtre des Champs-Élysées offre-t-elle pour autant toutes les satisfactions qu’on était en droit d’attendre ? Pas tout à fait…

Porté par la belle scénographie de Santo Loquasto et les splendides costumes de Christian Lacroix, le spectacle est constamment séduisant pour l’œil, vif, agréable, et ne brutalise jamais ni le livret, ni la partition. C’est déjà beaucoup, dira-t-on. Certes… mais attend-on des Noces de Figaro qu’elles ne soient qu’« agréables » ? L’arrière-plan social et politique, de même que la richesse des caractères, la complexité des relations qui se tissent entre les personnages font que les metteurs en scène peuvent à loisir choisir de mettre l’accent sur telle ou telle dimension de l’œuvre et en proposer des lectures variées. Or James Gray ne propose pas de lecture particulière, mais se laisse simplement (paresseusement ?) porter par la musique et la mécanique merveilleusement huilée du livret.

La direction d’acteurs est cependant aiguisée, notamment pour le Comte qui apparaît comme un inquiétant prédateur sexuel. Dérangeantes scènes que celle où il s’isole en coulisses avec une jeune femme, dont on entend vite les cris d’indignation, tels ceux poussés par Zerline violentée par Don Giovanni ; celle, encore, où, au plus fort de sa dispute avec la Comtesse, il ne peut s’empêcher de se livrer sur elle à des gestes déplacés… Quoi qu’il en soit, ce spectacle, dans sa simplicité et sa grande lisibilité, séduit le public, peut-être soulagé de ne pas avoir – une fois n’est pas coutume ! – à cogiter pour essayer de déchiffrer les volontés plus ou moins nébuleuses du metteur en scène…

Le Cercle de l’Harmonie, précis, dont les sonorités parfois un peu vertes confèrent à l’interprétation une nervosité bienvenue, suit de près la battue de Jérémie Rhorer, qui choisit (folle journée oblige ?) des tempos souvent très rapides, parfois même un peu trop : certains airs, certains ensembles auraient besoin d’un peu plus de retenue pour mieux « respirer ». A contrario, d’autres pages sont excessivement alanguies, tel le « Dove sono » de la Comtesse : le rythme en est si lent qu’on se demande si la chanteuse viendra à bout du da capo legato, traditionnellement chanté sans reprise de souffle !

Heureusement, le savoir-faire technique de Vannina Santoni est tel qu’elle surmonte l’épreuve et déploie dans cet air une ligne de chant au galbe parfait. La voix, pourtant, moins purement instrumentale que d’autres – en raison d’un léger vibrato d’essence peut-être plus romantique que classique – n’est pas de celles qu’on attendrait a priori dans Mozart. Qu’importe : la jeunesse du personnage, l’engagement de l’interprète emportent l’adhésion. Son Comte de mari est délicieusement hautain, carnassier, inquiétant… La maîtrise vocale de Stéphane Degout est complète, notamment dans un « Hai già vinta la causa » superbe, impeccable jusque dans ses difficiles vocalises finales, images sonores glaçantes du rire sarcastique d’un dominateur sûr de son fait.

Le couple Suzanne / Figaro n’est pas en reste, avec une Anna Aglatova au timbre chaud qui lui permet de camper un personnage plus profond qu’une simple soubrette, et un Robert Gleadow bon acteur et bien chantant, n’étaient des aigus un peu limités et un vibrato qui va en s’intensifiant au fil de la soirée. Le beau récitatif accompagné de l’acte IV (« Tutto è disposto… ») est par ailleurs entaché d’accents un peu trop plébéiens : cet air éminemment sérieux mérite sans doute que la colère s’y exprime avec plus de classe…  

Petite déception avec le Chérubin d’Éléonore Pancrazi. La ligne de chant, un peu brouillonne dans « Non so più cosa son », dessine les contours du « Voi che sapete » avec plus de finesse, mais la voix a semblé manquer d’épaisseur et de rondeur pour traduire au mieux les troubles de l’adolescent. La crédibilité et l’engagement du jeu scénique rattrapent en partie les choses.

Les rôles secondaires offrent un trio de luxe : Carlo Lepore donne à Bartolo une rondeur toute rossinienne (n’est-il pas du reste un habitué du rôle dans le Barbier de Rossini ?) ; Jennifer Larmore s’amuse beaucoup et amuse les spectateurs en Marceline, à laquelle elle donne un grand relief vocal et théâtral, et Mathias Vidal joue avec plaisir les seconds rôles en campant un Basilio sournois à souhait. Mais pourquoi diable couper les airs de ces deux personnages quand on distribue de tels chanteurs ? Enfin, les délicieuses interventions de Florie Valiquette en Barberine nous rendent très impatient de la réentendre dans un rôle plus conséquent…

La soirée agréable mais finalement un peu sage est néanmoins largement fêtée par le public.

***11