Chef-d’œuvre laissé inachevé à la mort d’Offenbach, Les Contes d’Hoffmann reviennent à La Monnaie dans une mise en scène de Krzysztof Warlikowski dont on connaît la fascination pour le cinéma hollywoodien. Celle-ci se traduit ici par une greffe inattendue du grand classique A Star is Born de George Cukor (et, comme nous le verrons, de bien d’autres références du cinéma américain) sur l’œuvre d’Offenbach.

Le rideau se lève sur un Hoffmann frère jumeau du Norman Maine du film. On trouve cette star déchue et alcoolique (on ne sait pas très bien s’il a été acteur ou chanteur ou les deux) affalée dans un fauteuil, regardant une vidéo sur écran géant dans une pièce jonchée de bouteilles vides et de kleenex usagés. Quant à sa tenue, elle se limite à un marcel blanc et un caleçon en satin de la même couleur, mais il enfilera bientôt une robe de chambre.

C’est alors que nous nous retrouvons dans la taverne de maître Luther (ici un très classieux bar d’hôtel), projetés dans une ambiance évoquant les années 1950 à 1970 – on appréciera le Nathanaël de François Piolino dont la perruque blonde et le jean pattes d’éléphant en font un sosie inattendu de Patrick Juvet. Et Hoffmann d’entonner la chanson de Klein-Zack en crooner collé à un micro d’époque sur pied, procédé qui sera abondamment repris au cours de la soirée où les protagonistes feront de même, chantant leurs airs comme on pousse la chansonnette.

À partir du deuxième acte, la référence au film de Cukor est tout à fait transparente, à ceci près que Hoffmann/Norman Maine se veut le Pygmalion non pas d’une seule actrice (Esther Blodgett dans le film) mais de tous les principaux personnages féminins, soit Olympia, Antonia, Giulietta et – dans une moindre mesure – de Stella, le tout dans un décor qui alterne principalement entre la salle de cinéma, le studio d’enregistrement et le logement sombre où se terrait au début Hoffmann, avatar du Elvis Presley enfermé dans son domaine de Graceland.

En dépit de l’atmosphère générale assez glauque, la mise en scène offre quelques brillantes trouvailles, comme la façon de faire d'Olympia une espèce de robot au visage aveugle, sur lequel Hoffmann pose les yeux que lui a vendus Coppélius. Référence cinématographique oblige, l’excellente Nicole Chevalier – forcément blonde dans sa petite robe rose – susurre « Les oiseaux dans la charmille » au fameux micro Shure, dans une interprétation qui tient à la fois de l’érotisme faussement innocent de Marilyn Monroe et du côté légèrement nunuche d’une Doris Day.

Si on pouvait voir Olympia comme la personnification d’une technologie faillible, Antonia est celle de l’art qui dévore et tue. Nicole Chevalier en donne à nouveau une incarnation très convaincante, si ce n’est qu’elle manque un peu du legato crémeux qu’on aimerait entendre. Warlikowski transforme ici la Voix de la tombe (en fait la mère d’Antonia) en rombière blond platine à étole de vison, superbement défendue par la mezzo Sylvie Brunet-Grupposo. On remarquera aussi que l’excellente basse Gábor Bretz (qui prend à son compte les quatre rôles de mauvais) apparaît ici en Docteur Miracle tout de blanc grimé, avant – cinéma oblige – d’incarner à l’acte suivant un Dapertutto maquillé en Joker – honnêtement, on le voyait venir. Pour Warlikowski, Giulietta est une courtisane très peu farouche, dont les avances ne laissent pas insensible Nicklausse (parfaite Michèle Losier, belle voix de mezzo et formidable présence scénique), dans une barcarolle très sensuelle.

Le bref dernier acte s’achève sur la vision d’un Hoffmann visiblement ébranlé par la perte des femmes qu’il a aimées... Mais ce n’est pas terminé : apparaissent devant le rideau Hoffmann et Stella qui rejouent (en anglais) la scène de la remise des Oscars de A Star is Born où, alors qu'Esther Blodgett reçoit sa statuette, Maine/Hoffmann fait un scandale, tenant des propos décousus et suppliant qu’on lui donne du travail.

On l'aura compris : cette mise en scène alterne le bon et le moins bon et l’impression qui prédomine et d’être davantage face à un spectacle de music-hall sympathique que devant une tentative de véritablement creuser le sujet.

En revanche, l’aspect musical n’appelle que des éloges. Alain Altinoglu apporte la flamme qui fait souvent défaut sur le plateau à la tête d’un orchestre de La Monnaie parfait et de chœurs remarquables. Parmi les chanteurs non encore cités, il faut bien sûr saluer le Hoffmann torturé et sensible au beau timbre solaire du ténor Enea Scala, la belle composition de Loïc Félix incarnant les quatre valets et l’imposante présence de Sir Willard White en Luther et Crespel.

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