Pour fêter les 150 ans de l’anniversaire de la mort de Berlioz, il était difficile pour l’Opéra de Monte-Carlo d’imaginer un choix plus ambitieux que celui de La Damnation de Faust. En effet, c’est en ce lieu réputé qu’avait eu lieu, en 1893, la première interprétation scénique de l’œuvre, conçue par Raoul Gunsbourg. Couronnée de succès, celle-ci avait pour singularité d’être particulièrement originale et « sensationnelle ». Plus d’un siècle plus tard, c’est une vision plus intègre, sobre et proche de la partition qu’a choisi de révéler le chef Kazuki Yamada sur la scène de l'Auditorium Rainier III. Retour sur une expérience intense.

L’opéra l’avait annoncé : une attention notable a été donnée à la distribution de cette résurrection de Faust. Entre talents locaux et internationaux, Sophie Koch (Marguerite), Jean-François Borras (Faust), Erwin Schrott (Méphistophélès) et Frédéric Caton (Brander) s'apprêtent à briller par leur prestance scénique. Effectivement, face à ces personnages à la personnalité bien affirmée, l’allure sur scène est l’une des clés majeures pour une interprétation honnêtement incarnée. Aux côtés des voix solistes, le chœur joue un rôle prépondérant : extrêmement développé, ce dernier enchaîne vocalises sur onomatopées, chant syllabique sur une « langue infernale » inventée par Berlioz, ou encore superpositions polyrythmiques.

Dès les premières notes, Kazuki Yamada déploie une direction légère et fine, dont les amples gestes rappellent une mer calme. L’orchestre mêle de manière équilibrée les sections de cuivres dynamiques aux nappes de cordes voluptueuses. Sur ce décor apparaît Faust, ténor appliqué dont les fins de phrases sont particulièrement vibrées. Excellent dans la gestion des mouvements chromatiques, Jean-François Borras se distingue également par la clarté de son chant syllabique. On apprécie sa mise en exergue des consonnes lors des passages récitatifs, soulignant ainsi le pathos de la situation (« je souffre, je souffre »).

L’effet dramatique est cependant davantage accentué lorsque le gracieux Méphistophélès entre en scène, après avoir débuté son chant dans les coulisses. Parvenant à se détacher de la partition, Erwin Schrott charme l’ensemble de l’audience, et son accent hispanique bien marqué n'y est pas étranger. Sa connaissance du rôle est telle que le baryton-basse se permet d’instaurer un jeu théâtral digne d’un véritable acteur. Du puissant Brander de Frédéric Caton, nous retenons un timbre rond, subtil et incarné.

La deuxième partie du concert laisse découvrir la chaleureuse Marguerite. La voix joliment timbrée de Sophie Koch se démarque par une intelligibilité parfaite du texte et une technique bien rodée. Tout comme Jean-François Borras, la mezzo-soprano vibre les fins de vers, entraînant un admirable mariage lors de leurs duos. Le public applaudit les péripéties accompagnées par un orchestre expressif, fluide et élégant. Si l’on a pu déceler des consonnes finales un peu approximatives dans les implorations du premier acte, le chœur se montre dorénavant énergique et alerte. Le spectacle se termine par un tumulte tourmenteur dans lequel les trémolos des cordes, les appels des cors et les coups de cymbales sont à peine discernables.

Mais on retiendra surtout de ce Faust monégasque la remarquable prestation d’Erwin Schrott qui, par son attitude enjôleuse, a filé un parfait Méphistophélès. Sa seule présence a suffi à embraser l’espace scénique !

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