Les Contes d'Hoffmann à La Monnaie, ou quand les marottes de Warlikowski tournent à vide...

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Les Contes d’Hoffmann, Théâtre royal de la Monnaie ; © Bernd Uhlig

Alors que s’achève le bicentenaire de la naissance de Jacques Offenbach (né en 1819), les dernières commémorations vont bon train, et son chef d’œuvre Les Contes d’Hoffmann est bien naturellement l’ouvrage le plus mis en avant. Ainsi, après l’Opéra de Bordeaux en septembre dernier, puis celui de Lausanne un mois plus tard, c’est le Théâtre Royal de La Monnaie qui met l’œuvre à son affiche, dans une nouvelle proposition de l’un des metteurs en scène chouchous de Peter de Caluwe, le trublion polonais Krzysztof Warlikowski. Comme nombre de ses anciens travaux, il l’a conçue en référence au cinéma hollywoodien – qui serait alors comme un « paradis » des illusions perdues. Les femmes fatales d’Hoffmann apparaissent comme des stars stéréotypées d’Hollywood (particulièrement la Judy Garland de A Star is Born de George Cukor) dans leurs apparences, dans des images vidéo qui les donnent à voir en des incarnations diverses, ou dans leur jeu – poupée surjouée pour Olympia, diva victime de sa voix pour Antonia, comédienne obligée au porno pour Giulietta… Quant à Hoffmann, il se fait le propre metteur en scène de sa destinée ratée, tour à tour réalisateur, preneur de son, interprète. Ce procédé révèle vite son systématisme : il distrait (Hoffmann tripote ses machines alors que quelque-chose d’essentiel se passe au centre du plateau), s’avère répétitif (un micro sur pied qu’on ne cesse de monter et de descendre, devient accessoire privilégié), d’autant qu’il transforme le chœur en spectateurs qui viennent régulièrement s’asseoir sur des sièges semblables aux nôtres, en miroir. Voilà qui compromet le rythme de la représentation, l’allonge inutilement (avec notamment une « parodie » des remerciements lors de la Cérémonie des Oscars, mille fois vue, et si lourde…). Quant au pseudo tournage d’une séquence pornographique, on ne sait à quel degré le prendre. Le « méchant », lui, est déguisé en Joker… Warlikowski a déjà enrichi des œuvres par son inventivité scénique, mais là, il n'apporte vraiment pas grand-chose aux Contes d'Hoffmann...


Les Contes d’Hoffmann, Théâtre royal de la Monnaie ; © Bernd Uhlig

Les Contes d’Hoffmann, Théâtre royal de la Monnaie ; © Bernd Uhlig

Acteur-chanteur accompli, le ténor sicilien Enea Scala se jette à corps perdu dans son personnage, dont il épouse avec un naturel confondant toutes les névroses. Vocalement, il livre un chant incroyablement solide, et surmonte aisément – avec brio et clarté – la tessiture redoutable de la chanson de Kleinzach, le tout dans un français tout simplement parfait. Dans les quatre rôles féminins, la soprano américaine Nicole Chevalier ne convainc pas aussi bien que sa consœur australienne à Bordeaux, les suraigus d’Olympia étant tous à la limite de la justesse, quand son registre grave, bien trop léger encore, manque de sensualité, et ne lui permet pas de conférer à la courtisane Giuletta les accents ensorcelants attendus ici. Néanmoins, elle sait faire sien chaque rôle (et Warlikowski lui demande beaucoup !), et finit par imposer ses différents personnages avec une force de persuasion qui emporte l’adhésion. Fidèle de la maison belge, le baryton-basse hongrois Gabor Bretz réussit un parcours sans faute dans les quatre rôles diaboliques, autant par sa prestance physique (il campe un Joker plus vrai que nature), que par son chant soigné, avec un vrai creux dans le grave, et une ligne particulièrement élégante, notamment dans « Scintille diamant ». De son côté, Loïc Félix se montre idéal dans les quatre emplois bouffes, modèle de bon goût et de juste équilibre scénique : l’air de Frantz y gagne en noblesse et en dimension réelle. Superbe chanteuse et comédienne, la mezzo canadienne Michèle Losier compose un ardent Nicklausse, au timbre voluptueux, tandis que Sylvie Brunet-Grupposo – ici grimée en rombière peroxydée – est un véritable luxe en Mère d’Antonia. Malgré les outrages inévitables du temps (sur la voix), c’est toujours beaucoup d’émotion que la basse britannico-jamaïcaine Sir Willard White (Luther, Crespel) distille dans la moindre de ses répliques. Enfin, François Piolino est toujours aussi savoureux en Nathanël et Spalanzani, tandis que son jeune confrère Yoann Dubruque (Schlémil, Hermann) se fait une nouvelle fois positivement remarquer, dans ses courtes interventions.


Les Contes d’Hoffmann, Théâtre royal de la Monnaie ; © Bernd Uhlig

En fosse, le fringant directeur musical Alain Altinoglu rallie tous les suffrages, et offre – à la tête d’un Orchestre Symphonique de La Monnaie merveilleusement sonnant – une version chatoyante du chef d’œuvre d’Offenbach. La phalange belge offre à entendre une souplesse et une clarté de texture tout simplement idéales dans ce répertoire. Les tempi sont plutôt rapides, mais d’habiles ruptures, telles de gros plans cinématographiques (donc particulièrement en accord avec la production...), interrompent judicieusement le déroulement du spectacle, pour donner soudain plus de poids aux moments cruciaux du drame. Réalisant avec aisance la synthèse des divers styles musicaux de cette partition composite, le chef français parvient à faire scintiller chaque détail de l’instrumentation, tout en menant fermement à terme ce jeu de la faiblesse humaine, où humour et poésie diaphane alternent avec bonheur.

Une fois encore, c’est bien la musique qui est la grande triomphatrice de la soirée !

Emmanuel Andrieu

Les Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach au Théâtre Royal de La Monnaie, jusqu’au 2 janvier 2020

Crédit photographique © Bernd Uhlig  

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