Créée lors de la saison 2010-2011 par l’Opéra Royal de Wallonie et reprise, une fois, en décembre 2015 à Liège, la production de La Flûte enchantée par Cécile Roussat et Julien Lubek est un véritable enchantement. Un homme époussette un phonographe puis pose un disque pour faire jouer les premières notes de musique à l’orchestre. Le rideau s’ouvre alors sur une chambre à coucher, Tamino repose dans un grand lit, un portrait de la Reine de la Nuit au-dessus de lui, une belle armoire normande à sa droite. Posé sur la table de nuit, un réveil servira plus tard de clochettes à Papageno. Ce sont de vraies colombes qui accompagnent celui-ci, la Reine de la Nuit prend position dans l’encadrement de son portrait pour chanter son premier air et Monostatos descend par la grande cheminée en fond de plateau, tel un ramoneur… mais avec une grande natte ! L’imagination est au pouvoir dans ce spectacle, six acrobates ponctuant agréablement la soirée d’interventions bondissantes – mais non envahissantes ! –, de portés, roulades, claquettes, danses…

La bibliothèque en fond de décor du premier acte – le domaine de Sarastro – est vue de l’autre côté au second. Paraît un univers peuplé d’énormes livres avec des escabeaux pour accéder aux rayonnages les plus élevés. Les épreuves du feu et de l’eau sont traitées avec intelligence, simplicité et poésie, en ombres chinoises derrière un drap, pendant que sont présentées des bougies puis un récipient d’eau à Tamino et Pamina. La scénographie et les lumières, qui pourraient parfaitement coller à des contes de Charles Perrault, sont réglées aussi par Cécile Roussat et Julien Lubek, tandis que les costumes sont à la charge de Sylvie Skinazi, superbement inspirée pour les trois Dames égyptiennes, un peu moins à notre goût pour Papageno et Papagena. Pamina porte une robe hyper colorée, comme celle de sa poupée que tient le petit garçon dans son lit à la conclusion de l’opéra, pendant que Papy Sarastro lui lit une histoire.

C’est bien de La Flûte enchantée qu’il s’agit ce soir, une version intégralement française menée tambour battant par Hervé Niquet aux commandes de l’Orchestre régional Avignon-Provence. Les tempos sont rapides, parfois à l’extrême, refusant tout alanguissement ou toute majesté ou solennité (c’est par exemple flagrant à l’entame du second acte). Les musiciens suivent le chef avec un certain brio, même si on les sent par instants en limite de virtuosité. Dans la – fausse – fosse de la salle provisoire de l’Opéra Confluence (à côté de la gare TGV, pendant la dernière des trois saisons de travaux au théâtre en centre ville), le chœur de l’Opéra Grand Avignon montre également une très bonne tenue. Un petit accroc est uniquement à signaler, un faux départ dans le finale du premier acte ; mais là encore, le chef fait reprendre tellement rapidement que presque personne ne s’en aperçoit !

La distribution vocale est dominée par les deux rôles centraux de Tamino et Pamina. Mathias Vidal fait entendre un ténor très élégant, voix homogène d’une sereine longueur de souffle, à l’articulation très appliquée ; son Tamino est somme toute très français, chez qui seules de rares notes aiguës paraissent un peu moins confortables. Sa Pamina est la soprano québécoise Florie Valiquette, au timbre séduisant, parfaitement expressif sur toute la tessiture du rôle, avec sans doute moins de rondeur dans la partie la plus aiguë du registre. Son personnage de poupée aux gestes mécaniques évoque à plusieurs reprises Olympia des Contes d’Hoffmann

Marc Scoffoni incarne un Papageno vigoureux et sonore, avec toutefois une palette de couleurs limitée, son jeu s’avérant drôle mais sans exubérance. Chantal Santon-Jeffery est rapidement dépassée par les terribles difficultés vocales de la Reine de la Nuit, surtout dans le premier air où elle n’atteint pas les notes les plus extrêmes et laisse en route plusieurs traits d’agilité*. À l’inverse, Tomislav Lavoie ne possède pas les graves les plus profonds de Sarastro ; dommage car la voix est par ailleurs d’un grain noble. On apprécie enfin l’excellent Monostatos d’Olivier Trommenschlager, ainsi que l’Orateur de Matthieu Lécroart, respectivement ténor et baryton joliment timbrés, bien projetés et expressifs. Notons que les trois Garçons sont confiés à trois jeunes femmes ; on perd ainsi les voix blanches de titulaires habituellement bien plus jeunes.

Ce trio est vu pour la première fois dans l’armoire… à l’intérieur de grands manteaux suspendus à des cintres ! Les images originales et poétiques sont nombreuses au cours de la soirée : les sbires de Monostatos paraissent en costumes de carnaval à grosses têtes, les trois Dames passent au travers d’une page d’un livre, la Reine de la Nuit se transforme en araignée géante entourée de sa toile pendant son second air… Spectateurs petits et grands ressortent du spectacle enchantés !


* Note de la rédaction : nous avons appris après publication de cet article que Mme Chantal Santon-Jeffery était souffrante le jour de la représentation.

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