L’Italienne à Alger, une gaîté revigorante au TCE
Le
génie musical de Rossini anime cette turquerie loufoque truffée de
scènes comiques (les deux cérémonies d’intronisation),
déclenchant fréquemment les rires du public. Le plaisir émane des
solistes qui, même en l’absence d’une mise en scène,
se délectent à jouer et, à l’aide de quelques éléments de
costume et accessoires, donnent vie à cet opera
buffa. Jean-Christophe
Spinosi, radieux, demeure attentif à l’équilibre sonore et à la
synchronisation de la mécanique rythmique rossinienne (final du
premier acte délirant d’onomatopées), tout en s’amusant du jeu
des chanteurs venant parfois le solliciter. Toutes les énergies
convergent vers une gaîté revigorante, les hommes du chœur Mélisme(s), bien qu’alignés derrière l’orchestre, prennent
également part à l’action théâtrale avec bonheur.
Dans le registre comique, la palme revient à Peter Kálmán avec le rôle de Mustafa. Basse bouffe modèle, il allie des talents d’acteur aux mimiques irrésistibles à une vocalité ample et agile. Il déclenche l’hilarité dès sa première intervention lorsqu’il fait part à Haly (capitaine des gardes) de son intention de se débarrasser de sa femme et d’épouser une jeune Italienne à la place. Au fur et à mesure de l’œuvre, le jeu prenant le dessus, il délaisse quelque peu la voix chantée au profit d’une déclamation comique (voix de tête, sons soufflés, cris) transformant son personnage de despote arrogant en un ridicule pantin à qui est décerné le titre de pappataci (littéralement « bouffe et tais-toi ») dans une scène mémorable.
Margarita Gritskova, Isabella (l’Italienne), use de tous ses charmes, physiques et vocaux, afin de mener les hommes à la baguette. Dans une robe bustier brillante ou dans une tenue de sultane quelque peu dénudée et à force de minauderies, elle aguiche Mustafa jusqu’à le rendre fou. Sa voix de mezzo-soprano, tirant vers le soprano, affirme magistralement les aigus et son timbre précis lui permet une présence dans des nuances très suaves qui cependant, de par leur fréquence, amoindrissent le caractère fort et bien trempé d’Isabella. Le manque d’ampleur dans le médium n’entrave cependant pas la sensualité du phrasé qui est finement rendue de ce fait, teintant son personnage d’une certaine préciosité qu’elle conservera jusque dans les saluts, gênée par l'accueil du public et du chef.
Maxim Mironov assume aisément la tessiture aiguë de Lindoro tout en préservant une certaine rondeur de timbre. Retenu comme esclave chez Mustafa, il cherche tout au long de l’opéra à s’enfuir, usant d’une agilité sans faille et d’aigus insolents qu’il prolonge assurément aux cadences. Lorsqu’il évoque sa fiancée, son phrasé languide se nuance (le pianissimo de la reprise de l’air "Languir per una bella" est saisissant). Son jeu est également empreint d’humour lorsqu’il entre pour la première fois sur scène muni d’un balai et d’un chiffon à poussière, astiquant le clavecin ainsi que le claveciniste.
La voix de baryton richement timbrée et projetée de Christian Senn colore le personnage de Taddeo (soupirant d’Isabella jaloux et pleutre) avec beaucoup de prestance. Le comique du personnage est davantage rendu par son jeu théâtral et il fait beaucoup rire lorsqu’il reçoit le titre de Kaimakan.
Verónica Cangemi incarne Elvira, l’épouse délaissée de Mustafa, avec humour : apparaissant affublée d’une jupe trop grande qu’elle doit tenir constamment, et n’ayant de cesse de pleurnicher outrageusement sur son sort. Sa voix légère initie le final du premier acte dans une agilité aisée, cependant les aigus sont marqués de raideur, privant son chant d’une certaine rondeur.
Rosa Bove prête sa voix ronde et timbrée de mezzo-soprano au rôle de Zulma, la basse Victor Sicard prend un réel plaisir à interpréter Haly, auquel les seize hommes du chœur de chambre Mélisme(s) marient leurs voix dans un ensemble cohérent tout en prenant part activement à l’action.
L’immense plaisir de Jean-Christophe Spinosi à interpréter la musique de Rossini, qu’il connait bien, transparaît à chaque instant. Il invite les instrumentistes à se régaler avec lui tout en contrôlant la synchronisation avec les solistes placés sur le devant de la scène. Il maîtrise de main de maître les tempi (pas toujours effrénés) et, retenant ses troupes dans des nuances subtiles, parvient également à lâcher la bride lors des fameux crescendi rossiniens, porteurs de toute la gaîté de la musique.
Gaîté retrouvée sur les visages du public quittant la salle après avoir repris en chœur et en frappant des mains la tarentelle du finale de l’opéra.