Les Pêcheurs de perles à l’Opéra de Lille : Bizet en gériatrie

- Publié le 28 janvier 2020 à 08:00
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Si la mise en scène du collectif belge déroute, la direction musicale de Guillaume Tourniaire emporte l'adhésion, tout comme un plateau sans maillon faible.

Dans Les Pêcheurs de perles, il est souvent question de souvenirs, les personnages évoquant à l’envi des événements qui se sont déroulés dans un passé indéterminé. Partant de ce constat, le collectif belge FC Bergman place l’action… dans une maison de retraite. Ou plutôt un mouroir, puisque les pensionnaires tombent comme des mouches, aussitôt transportés dans une morgue sordide. Adieu Ceylan et ses charmes exotiques, donc.

Le ballet des fauteuils roulants et déambulateurs, on a déjà vu ça sur une scène lyrique. Pourtant, on se surprend à souscrire à cette vision, en tout cas pendant la première partie de l’opéra (donné sans entracte). Un décor tournant laisse paraître différentes pièces de l’institut gériatrique, mais aussi une immense vague pétrifiée. Sur cette grève, les protagonistes contemplent l’image de leurs jeunes années. Car si les chanteurs sont vieillis par un maquillage des plus réalistes, deux danseurs incarnent une Leïla et un Nadir tout juste sortis de l’adolescence – le jeune Zurga, lui, n’est autre que Nourabad, version plus radicale, plus extrémiste que l’original.

Ces aller-retours entre un passé idéalisé et un présent sans espoir imposent leur poésie, d’autant que la direction d’acteurs est suffisamment affûtée pour rendre crédibles les partis pris de la mise en scène. Mais pourquoi, au milieu de l’acte II, Leila se débarrasse-t-elle de son grimage de vieille dame ? La logique alors nous échappe, le concept semble tourner au procédé, on peine à trouver le point d’adhérence entre l’ouvrage et ce que l’on voit.

Vocalement, c’est Gabrielle Philiponet qui domine, Leïla à l’aplomb sidérant, autant dans les passages lyriques que dans les pyrotechnies du rôle, avec un timbre au grain vibratile des plus délectables. Marc Laho est un Nadir sans reproche, pour le style comme pour la diction, qualités partagées avec le Zurga de Stefano Antonucci, bien que celui-ci semble un peu fatigué aux extrêmes de la tessiture. Excellent Nourrabad, dans la force de l’âge, de Rafal Pawnuk.

Le grand triomphateur est au pupitre. Guillaume Tourniaire entraîne un Orchestre de Picardie et un Chœur de l’Opéra de Lille à la discipline exemplaire sur les flots d’un océan sonore tourmenté, avec dans le bras ce qu’il faut de nerf, d’éclat et de sens des atmosphères pour préserver les divins ravissements du chef-d’œuvre.

Les Pêcheurs de perles de Bizet. Lille, Opéra, le 25 janvier.

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