Au Châtelet, les visions enchanteresses du Saul de Handel

- Publié le 29 janvier 2020 à 18:46
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Venue de Glyndebourne, la production de Barrie Kosky déploie ses belles images, auxquelles répond le souffle des Talens lyriques.

Une tête colossale et ensanglantée se détache lentement d’un fond noir. Goliath est tombé : victoire des Israëlites, mais début d’hostilités autrement plus sombres. Par beaucoup d’images saisissantes encore – la démesure d’un festin décadent, l’errance solitaire du vieux roi à moitié nu, les corps tombés sur un champ de bataille -, Barrie Kosky sonde les tourments de Saül, dont les élans jaloux conduisent son peuple au cataclysme.

Dans le rôle-titre, Christopher Purves tient le spectacle à lui seul, vocifère et pleure. Il chante peu : on ne regarde et n’écoute pourtant que lui. La figure de David est habilement dessinée, avec sa candeur infiniment magnétique. Même aidées de didascalies nouvelles, les autres figures du drame ne sont pas aussi fortes – ainsi, de personnages féminins quelque peu délaissés. Le metteur en scène succombe alors par moments au surlignage, à l’éparpillement, comme le regrettait notre confrère Jean-Philippe Grosperrin dans sa recension de la captation vidéo à Glyndebourne (DVD Opus Arte). L’oratorio, pourtant, s’acclimate bien au théâtre.

La troupe réunie ne s’économise pas, trois heures durant, pour animer la fresque. Le chœur d’abord, celui de Glyndebourne, qui épate absolument : présence du texte, clarté des fugues, couleurs symphoniques – à faire pleurer les pierres dans « Mourn, Israel ». Dans quatre petits rôles réunis sous les traits d’une drag queen délicieusement ironique, Stuart Jackson captive : souffrant, il se contente pourtant de mimer ses interventions, doublé depuis la fosse par un choriste (Daniel Mullaney) qui fait avec sa voix d’or bien plus que le job. Autre remplacement : David Shaw, ténor homogène et rond, incarne très honnêtement son Jonathan, à qui Handel destine de magnifiques pages.

Pourtant fin musicien, le David de Christopher Ainslie sonne un peu sous-dimensionné dans la vaste acoustique du Châtelet. Il n’est pas le seul à souffrir de l’absence de décors : une fois passé le premiers tiers du plateau, les voix se perdent. Ceci expliquera peut-être que l’on ne retrouve pas le mordant habituel de Karina Gauvin, qui renoue néanmoins avec sa lumineuse présence en deuxième partie, seule au milieu d’un tapis de cierges. Le soprano fruité d’Anna Devin flatte l’oreille, Michal stylistiquement probe.

La quarantaine de musiciens des Talens Lyriques réunis, pour la première fois ou presque, sans Christophe Rousset, déploient leurs qualités handeliennes coutumières : du corps, à l’image d’un continuo vif et bien chantant, des cordes de satin, du rebond dans le discours. Laurence Cummings, tout attentif à une réalisation impeccable, ne réinvente pas le sujet, mais il n’oublie pas la poésie.

Saul de Handel. Paris, Théâtre du Châtelet, le 23 janvier.

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