Vittorio Grigolo et Diana Damrau, un véritable Traumpaar pour défendre Roméo et Juliette à La Scala

Xl_101_k65a5992_diana_damrau © Marco Brescia & Rudy Armisano

Après avoir été étrenné au festival de Salzbourg en 2008, puis avoir fait les beaux soirs du Metropolitan Opera de New-York à plusieurs reprises, mais aussi ceux de la maison scaligère en 2011, l’ultra classique Roméo et Juliette (de Charles Gounod) imaginé par Bartlett Sher revient au Teatro alla Scala de Milan pour une nouvelle série de représentations étalées entre janvier et février. A l’instar d’un très esthétisant Tristan und Isolde vu la veille au Teatro Comunale de Bologne, la réussite visuelle du spectacle ne suffit pas, car s’il est indéniablement très plaisant à regarder - notamment pour ses scènes de combats à l'épée magnifiquement réglées -, la banalité de toutes les autres implique une totale indigence sur le plan dramatique... et surtout une entière insouciance quant à la vérité psychologique des personnages !

Tout juste nommé chef principal de l’Opéra d’Amsterdam, le jeune chef suisse Lorenzo Viotti (30 ans) s’affirme d’emblée comme un talent à suivre et le public milanais ne s’y est pas trompé en le plébiscitant en fin de soirée. De fait, il sait faire chanter l’Orchestre du Teatro alla Scala comme rarement dans cet ouvrage : sensible à la beauté de la phrase, il ne se refuse pas le luxe de quelques rubati charmeurs, sans sombrer pour autant dans la mièvrerie. Sous sa direction, la phalange scaligère respire comme un vaste organisme dont toutes les voix se fondent en un superbe jeu de teintes en clair-obscur aux chatoyantes correspondances. Quant au Chœur du Teatro alla Scala, formidablement préparé par Bruno Casoni, il se montre parfait tant par la prononciation française que par l’équilibre des registres.

Après avoir abordé le rôle in loco en 2011, le fringant ténor italien Vittorio Grigolo est le triomphateur de la soirée. Son français tout simplement parfait sonne toujours juste dans les airs et les duos, assurant ainsi aux récitatifs une couleur et une volubilité vernaculaires du plus bel effet. Moelleux et pourtant clair, son timbre rend pleinement justice à toutes les facettes du personnage. Sa musicalité raffinée, alliée à un phrasé d’une rare élégance, donne à son interprétation à la fois fougueuse et rêveuse une classe à part. De plus, ses incursions dans les répertoires verdien et puccinien ont donné à son medium une assise plus vaillante sans égratigner la délicate étoffe de ses pianissimi, aussi assurés et purs d’intonation que par le passé, dans ses premiers emplois de tenorino. L’aigu, enfin, a tout le brio nécessaire pour rendre avec toute l’ardeur et la rondeur désirées les Si de sa cavatine. De même, la soprano allemande Diana Damrau a (presque) tout pour ravir, et son timbre trouve ici son plus juste emploi, en se colorant et en se déployant avec grâce et souplesse. Radieuse au premier acte, d’une grande douceur au second, la destinée à son tour la trouve violente et angoissée. Tout au plus pourra-t-on lui reprocher une dramatisation quelque peu excessive (et inutile) aux IV et au V : la musique parle d’elle-même et il y a dans Juliette une noblesse et une pudeur qui ignorent toute agitation. Il n'en reste pas moins vrai, qu'ensemble, ils forment un véritable traumpaar de la scène lyrique.

De son côté, la mezzo suisse Marina Viotti (sœur du chef) s’affirme de plus en plus comme un talent exceptionnel (après notamment sa Rosina ou son Olga, les deux à l’OnR l’an passé). Sa voix sombre s’allège avec souplesse et brille de tout son éclat dans la quinte aigüe, ce qui lui permet de se jouer avec décontraction de la tournure finale éprouvante de l’air de Stéphano. Plus sombre que de coutume, Frédéric Caton, le père de Juliette, exploite la richesse de son timbre pour inviter ses hôtes à jouir de la vie, tandis que l’excellent baryton italien Mattia Olivieri (Mercutio) déploie des moyens aussi impressionnants que charmeurs pour délivrer le récit de la reine Mab, confessé à mi-voix avec une exemplaire richesse de nuances. Nicolas Testé tire son épingle du jeu en Frère Laurent, impeccable de style et de diction, alors qu’on sera plus nuancé sur la Gertrude de Sara Mingardo, dont on ne reconnaît pas ici l’abattage dont elle est pourtant coutumière. Enfin, le ténor russe Ruzil Gatin (Tybalt) est un bon élément dans la compagnie des seconds rôles, où brille tout particulièrement le Duc plein d’aplomb (et aux graves somptueux !) de la basse française Jean-Vincent Blot.

Emmanuel Andrieu

Roméo et Juliette de Charles Gounod au Teatro alla Scala de Milan, jusqu’au 16 février 2020

Crédit photographique © Marco Brescia & Rudy Armisano

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