L'Opéra de Saint-Étienne continue régulièrement de célébrer Jules Massenet, l'enfant du pays, en montant cette fois Don Quichotte, en coproduction avec l'Opéra de Tours. La mise en scène de Louis Désiré, plutôt dépouillée et de facture classique, intègre un élément de décor présent pendant toute la représentation : un lit à baldaquin dans lequel reposent Don Quichotte et Sancho côté cour à l'entame et à jardin pour la conclusion, utilisé aussi régulièrement dans l’intervalle par les différents protagonistes. Quatre comédiens torse nu et maquillés de blanc, bandages sur les yeux, interviennent également de temps à autre, sans excès ; ce sont eux par exemple qui, à la fin du deuxième acte, miment le faux géant / vrai moulin, en faisant tourner la lance empruntée au chevalier errant.

Le lit est ensuite déplacé, au centre devant un joli fond lumineux d'arbres au crépuscule (acte III), à gauche ensuite pour la fête chez Dulcinée (acte IV), où la belle et deux couples se caressent et s'embrassent lascivement. Les décors et costumes de Diego Méndez Casariego, sombres en général comme les capes noires et hauts-de-forme portés par les choristes, sont bien en situation, tout comme sont très efficaces et suggestives les lumières réglées par Patrick Méeüs. Une petite statue du chevalier change aussi de place à plusieurs reprises, parfois portée par Sancho pour signifier les voyages de son maître, et la réalisation n'oublie pas non plus la dimension christique de Don Quichotte, entre autres quand Sancho lui lave les pieds.

Vincent Le Texier compose un Don Quichotte parfaitement crédible physiquement, allure élancée, cheveux blancs en bataille, émouvant jusqu'aux larmes au cours du dernier acte, lorsqu'il reste planté sans un mouvement, paralysé et grimaçant après avoir été rejeté par Dulcinée, devenant subitement un petit vieux pendant qu'on entend le solo de violoncelle sublime de l'ouverture. La voix est certes usée, souvent en manque de stabilité et de justesse dans l'intonation, mais le grave profond reste naturel et toutes ces fêlures renforcent la densité de l'incarnation.

Marc Barrard est aussi un Sancho proche de l'idéal, scéniquement et vocalement. Le souffle est long et permet de développer un texte magnifiquement articulé, y compris dans les passages parlés. Il a un petit peu de mal à trouver le ton juste au début de l'acte V (« Ô mon maître, ô mon grand »), mais sa scène précédente (« Viens mon grand ») est un sommet d'émotion et d'humanité. On peine en revanche à ressentir autant de sentiment dans le chant de Lucie Roche, une belle et bien chantante Dulcinée tout de même, au timbre plus séduisant dans les passages doux par rapport à ses moments de pleine puissance.

Les quatre jeunes gens Julie Mossay (Pedro), Frédéric Cornille (Juan), Camille Tresmontant (Rodriguez) et Violette Polchi (Garcias) forment un ensemble cohérent, et le Chœur Lyrique Saint-Étienne Loire se montre également vaillant et homogène de son, bien préparé par Laurent Touche.

Le chef d'orchestre Jacques Lacombe parvient à tirer tout du long de somptueuses sonorités de l'Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire, pas avare de rythmes marqués et nuances espagnolisantes lorsque les castagnettes entrent en action. Le tapis de cordes donne l'impression d'une grande sérénité et produit de belles couleurs, les bois font un sans-faute, en particulier pendant l'ouverture de l'acte II où plusieurs pupitres sont exposés tour à tour, et les cuivres sonnent avec majesté, comme à l'ouverture de l'acte III.

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