Après Versailles et Liège en 2018, c’était au tour de l’Opéra de Toulon d’accueillir la production du Comte Ory créée à l’Opéra-Comique en 2017. Remontée par Laurent Delvert, l’excellente mise en scène de Denis Podalydès n’a rien perdu de son charme et de sa cocasserie. Bien au contraire. La transposition de cette ballade moyenâgeuse à l’époque de la création de l’œuvre, sur fond de guerre de conquête de l’Algérie, évoquée par de belles toiles peintes en guise de rideau de scène, garde toujours la même pertinence. Elle doit beaucoup aux superbes décors d’Éric Ruf associés aux beaux costumes d’époque de Christian Lacroix. Le souvenir bien sûr est parfois trompeur mais il semblerait que les sous-entendus et les allusions grivoises se soient encore multipliés dans cette reprise. En tout cas, la jeune distribution, entièrement renouvelée, s’en donne à cœur joie dans la gaudriole en cette soirée de dernière, avec quelques trouvailles assez osées de son cru. La « chatte-laine » n’est à coup sûr pas une invention de Scribe ou de Delestre-Poirson et la beuverie des pèlerines (devenues des nonnes par le jeu d’une tradition qui avait bien compris l’intention originelle des librettistes) est un moment de pur délire « gaulois » et de grande jubilation. On se demande souvent, même si la mise en scène force un peu le trait, comment un tel livret mêlant sexe et religion a pu passer la censure dans une période aussi réactionnaire que le règne de Charles X.  

Le Comte Ory facétieux de l’Argentin Francisco Brito possède le timbre caractéristique des ténors hispaniques, un rien nasal, avec des aigus brillants et un peu appuyés. Dans ses meilleurs moments son timbre n’est pas sans évoquer celui du jeune Juan Diego Florez mais son français reste assez exotique et sa prestation plutôt inégale dans un rôle, il est vrai, très exigeant où il peine un peu à nuancer un chant que l’on voudrait parfois moins en force et un peu plus charmeur. Son compatriote, Armando Noguera, offre à Raimbault son baryton sonore et une belle présence scénique mais son air des vins pourrait être plus fluide et sa connaissance du texte paraît parfois un peu approximative. Thomas Dear, s’il possède la profondeur nécessaire à la basse noble du Gouverneur, n’a pas tout à fait la souplesse requise - le trille notamment - pour offrir un peu plus de variété à son grand air qui paraît un rien monotone. Du côté féminin, le mezzo clair et brillant et la longue silhouette d’Ève-Maud Hubeaux donnent beaucoup de relief au Page Isolier. Malgré quelques problèmes d’intonation, Sophie Pondjiclis est une Dame Ragonde de poids. On garde pour la bonne bouche la Comtesse de Formoutiers de Marie-Ève Munger qui abordait pour la première fois Rossini et qui compose dans son air d'entrée un personnage en proie aux affres du refoulement tout à fait désopilant. Son soprano lyrique est peut-être un peu léger pour le rôle et la plupart de ses variations et de ses cadences l’emmènent au plus haut de la tessiture, mais son timbre de belle couleur et sa musicalité de tous les instants compensent des ornements qui ne sont peut-être pas tout à fait canoniques. La direction de Jurjen Hempel n’a pas toujours l’allant souhaitable et s'appesantit nettement dans les passages les plus complexes comme le grand finale du premier acte ou le beau trio nocturne du second, tant admiré de Berlioz. C’est un peu dommage pour le rythme du spectacle mais la qualité d’un orchestre aux bois affûtés et aux cordes soyeuses et un excellent chœur compensent largement cette petite limite et l'ensemble offre une soirée très réjouissante.  

Alfred Caron

À lire : notre édition du Voyage à Reims + Le Comte Ory : L’Avant-Scène Opéra n° 140


Photos : K. Bouffard / Opéra de Toulon