Il y a quelques années à peine, une production dans la langue française originale du Don Carlos de Verdi tenait de la rareté, voire du miracle. Mais voici que l’Opéra Royal de Wallonie nous propose une version, non seulement chantée dans la langue dans laquelle elle fut créée, mais qui de plus reflète certainement les premières intentions de l’auteur, puisqu’elle nous restitue les coupures pratiquées après les répétitions parisiennes de 1866 (et donc avant la première officielle à l’Opéra de Paris en 1867). Même si elle fait l’impasse sur le ballet ajouté par la suite, la représentation de cette vaste partition dure quand même 4h30 (avec un seul entracte, stratégiquement placé avant l’autodafé de l’acte III).

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Don Carlos à l'Opéra Royal de Wallonie
© Opéra Royal de Wallonie - Liège

Le maître-mot de cette production est donc fidélité. Non seulement par le choix d’une version musicologiquement et linguistiquement correcte, mais aussi par l’approche respectueuse jusqu’au littéralisme qu’on retrouve dans la mise en scène du directeur général de l’ORW, Stefano Mazzonis di Pralafera, dont le choix, plutôt que creuser le propos de l’œuvre, est de l’illustrer au mieux. On ne s’étonnera donc pas du faste des décors et des somptueux costumes richement ornés qui nous transportent à la cour de Philippe II, dont on nous fait bien percevoir aussi le rituel aussi élaboré que contraignant.

Mettant à profit un solide livret basé sur le drame de Schiller, Don Carlos va au-delà des passions amoureuses fortement complexes et contrariées des protagonistes, et aborde avec réelle profondeur une dimension politique omniprésente, incarnée par l’amour de la patrie et de la liberté comme par le rejet de la tyrannie aveugle de l’État et de l’Église. Dans la grande scène de l’autodafé, Mazzonis illustre très bien la macabre obscénité de l’Inquisition par la liesse morbide de la foule enthousiaste qui voit passer les condamnés menés au bûcher dans de grandes cages montées sur roulettes, alors que le Grand Inquisiteur – impressionnant Roberto Scandiuzzi – est ici un cardinal fanatique et aveugle, s’appuyant sur deux jeunes moines trisomiques.

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Gregory Kunde (Don Carlos), Patrick Bolleire (un moine) et Lionel Lhote (Rodrigue, marquis de Posa)
© Opéra Royal de Wallonie - Liège

Au-delà de l’aspect grand spectacle, la représentation peut se targuer d’une distribution homogène et de grande qualité, soignée jusque dans les plus petits rôles. La vaillance, l’endurance et la puissance d’un Gregory Kunde de 65 ans en remontreraient à plus d’un jeune collègue, mais il lui manque malheureusement les demi-teintes qui révéleraient la fragilité et les doutes de Carlos. En face de lui, le marquis de Posa de Lionel Lhote est le véritable triomphateur de cette production. Son baryton ferme, sa ligne de chant soignée, la clarté de sa diction, son talent d’acteur font très forte impression.

Servi par un magnifique timbre de basse chantante et une belle prestance, Ildebrando d’Arcangelo donne de Philippe II l’image d’un monarque absolu condamnant sans réplique le manque de loyauté de ceux qu’il estime lui devoir obéissance, même si le « Elle ne m’aime pas » révèle une fêlure plus intime et douloureuse. Elisabeth était incarnée ici par Yolanda Auyanet dont la belle présence scénique n'est pas toujours parvenue à cacher quelques difficultés vocales. Et en effet, Stefano Mazzonis est apparu sur scène après l’entracte pour expliquer que Mme Auyanet, souffrante, renonçait à chanter mais mimerait le rôle qui serait chanté par Leah Gordon. Cette dernière prit place en civil devant sa partition en bord de scène, et prêta sa belle voix charnue à sa collègue malade.

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Don Carlos à l'Opéra Royal de Wallonie
© Opéra Royal de Wallonie - Liège

Le reste de la distribution ne sera pas affecté : Kate Aldrich est une Eboli particulièrement convaincante tant par sa présence scénique que sa chaude voix de mezzo aux aigus assurés et au grave sensuel (sans poitriner). Elle sait traduire la gaieté de la « Chanson du voile » comme la douleur et les regrets de « Ô don fatal ».

Il convient également de saluer la qualité des rôles secondaires. Caroline de Mahieu est un Thibault plein de grâce, Maxime Melnik offre son élégant ténor au Comte de Lerme et au Héraut, Patrick Bolleire impressionne en tant qu’autoritaire Moine/Charles Quint. La jeune Louise Foor fait de l’intervention de l’invisible Voix d’en haut un très beau moment. Quant aux chœurs, ils s’acquittent correctement de leur tâche.

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Don Carlos à l'Opéra Royal de Wallonie
© Opéra Royal de Wallonie - Liège

Fin connaisseur de la partition, Paolo Arrivabeni dirige avec autorité un orchestre désireux de bien faire et visiblement galvanisé par son ex-directeur musical qui obtient sans peine de ses musiciens les couleurs sombres si typiques de l’œuvre. Mention particulière aux cuivres enthousiastes et au violoncelle solo.

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