Depuis quelques années, l'opéra comique français et plus particulièrement la Médée de Cherubini ont le vent en poupe en Allemagne. Ce qui est en droit de surprendre : dans ces récits aux dialogues parlés, la langue a quelque chose de suranné, n'est certes pas dénuée de charme mais demande une belle audace de mise en scène pour être remise au goût du jour. Mais voilà : dans la production berlinoise mise en scène par Andrea Breth et créée en 2018, l'œuvre présentée à la Staatsoper déçoit considérablement, desservie par une scénographie stérile, à peine sauvée du naufrage par un orchestre survolté.

L'action se déroule dans une sorte d'entrepôt souterrain, où sont dispersées des caisses en bois contenant les trésors de guerre de Jason. Un plateau tournant et un système de grillages s'ouvrant et se fermant à l'envi, un peu comme des portes de garage, donnent astucieusement de la profondeur à l'ensemble. Au lever de rideau, deux énormes sculptures de chevaux sont visibles, côte à côte, au premier plan. L'un a la tête coupée, l'autre non : on a vu éléments symboliques introduits avec plus de finesse.

C'est ce qui va poser problème, tout au long de la représentation : l'ensemble du sous-texte scénique est appuyé avec une absence de grâce toute pachydermique. Prenons pour exemple ce moment très gênant du deuxième acte où Dircé vêtue de sa robe « toison d'or » s'installe sur un podium, comme lors d'une vente aux enchères, et où la procession du chœur en costumes de soirée la couvre peu à peu de billets de banque ; ou le duo Médée/Jason de la première partie, où ce dernier agite un tissu comme un torero devant une Médée enragée, rappelant avec maladresse les exploits de Jason domptant les taureaux de Colchide.

On pourrait en dire autant de la direction d'acteurs. Les dialogues parlés, déjà tronqués jusqu'à la moelle, sont autant de moments embarrassants, tant pour le public que pour les chanteurs qui ne savent pas vraiment que faire de leurs corps. Chacun semble s'être trouvé un gimmick qu'il répète à volonté, empêchant ainsi toute évolution psychologique de son personnage. Médée, par exemple, adoptera le même ton grave et nasillard, le même regard aux sourcils froncés, et multipliera les tours sur elle-même, bras écartés, de la première à la dernière minute de l'opéra. Créon campera quant à lui la posture quasi-vaudevillesque du « papa mécontent », souverain sévère mais juste, qui gronde du doigt en se tenant droit dans ses bottes. Et l'on ne s'attardera pas sur les trop nombreuses erreurs techniques, les personnages trébuchant à répétition sur des éléments de décor, Médée donnant une fausse gifle qui ne trompera personne... On peine à trouver quelque chose d'efficace dans cet imbroglio scénique.

Musicalement, c'est déjà mieux. Sonya Yoncheva, star parmi les stars dans le rôle-titre, envoûte par son timbre plaintif, servi par un des plus beaux legato de notre époque. On songe immédiatement à la Callas des années 50, dans les traces de laquelle la chanteuse bulgare souhaitait certainement s'inscrire – quitte à parfois frôler la caricature, peu aidée en cela par la vision antique, pétrie de stéréotypes, proposée par Andrea Breth. En Dircé, Slávka Zámečníková est excellente. Son timbre est riche et brillant, à l'image de la robe dorée qu'elle revêt au début de l'opéra.

Côté masculin, c'est plus compliqué : Francesco Demuro ne convainc pas en Jason, la projection est trop brutale, il y a quelque chose de forcé dans le timbre qu'on digère mal. Et que dire de Iain Paterson (Créon) dont la voix, pourtant chaleureuse, peine à dominer l'orchestre ! À ce sujet, on peut encore dire un mot de la tendance contre-intuitive de la mise en scène, qui place le chanteur en fond de scène aux moments où il a le plus besoin de se faire entendre, ou qui exige de Zámečníková qu'elle chante son plus beau pianissimo... derrière une porte, en direction des coulisses.

Dans la fosse, l'énergique Oksana Lyniv dirige un rutilant orchestre de la Staatskapelle, absolument parfait et même sublime par moments (quelles langoureuses interventions du basson !). On préférera donc fermer les yeux et profiter des qualités musicales de la production, pour en oublier la maladroite scénographie.

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