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La Femme sans ombre au Théâtre des Champs-Elysées – Pas une ombre au tableau – Compte-rendu

Maintenue au répertoire de la plupart des grands théâtres germaniques, Die Frau ohne Schatten est rarement donnée sur le sol français, c'est pourquoi sa présence du théâtre des Champs-Elysées, même en version de concert, constituait un événement à ne pas manquer.
Comme à son habitude, Michel Franck n'a pas lésiné sur une distribution que seul l'Opéra de Vienne est encore capable de surpasser. Œuvre écrasante, démesurée, d'une complexité musicale rare, cette Femme sans ombre, fruit de la quatrième collaboration artistique (sur six au total) entre Strauss et Hofmannsthal, demeure une énigme cent ans après sa création à Vienne, par son sujet, son ambition et l'ampleur des moyens mis en œuvre pour y parvenir.

 

Yannick Nézet-Séguin © Hans van der Woerd

Aux commandes de cette brûlante partition qui mêle tout ensemble symbolisme, magie et prosaïsme dans une course effrénée à la beauté, Yannick Nézet-Séguin (photo) relève haut la main le défi. Sa direction perçante et finement ciselée, saisit dans un constant équilibre la puissance de ces deux mondes opposés, celui des Esprits et celui des humains, avec un lyrisme et une transparence qui se traduisent jusque dans les plus flamboyants tutti. Il faut dire que les effectifs de l'Orchestre Philharmonique de Rotterdam ne sont pas en reste pour exalter les paroxystiques sortilèges straussiens.

Après des années de vaches maigres où il était difficile de réunir pareil casting (souvenons-nous de la décennie quatre-vingt-dix...), les théâtres disposent à nouveau d'interprètes capables d'affronter ces rôles sans baisser la garde. Dans celui de la Nourrice, Michaela Schuster possède encore, contrairement à de nombreuses consœurs, de beaux moyens et sait se distinguer par une interprétation fouillée, même si parfois la tessiture la contraint à bousculer sa ligne de chant.
 

Elsa van den Heever © Jiyan Chen 

Stephen Gould demeure un Empereur impressionnant par la clarté de son émission, la vigueur de sa déclamation et la majesté de son registre aigu particulièrement sollicité. Très attendue dans celui de l'Impératrice – qu'elle jouera en juin prochain dans une nouvelle production signée Katie Mitchell à Amsterdam – Elza van den Heever s'est brillamment emparée d’un rôle à jamais marqué par la miraculeuse Léonie Rysanek. Son étendue vocale, la liquidité de son chant et la justesse de son portrait, d'un réel frémissement, ont enthousiasmé le public qui lui a réservé une ovation des plus chaleureuses.
Déchiré et à deux doigts de la rupture, le couple formé par les teinturiers Barak et sa femme était du même niveau puisqu'il rassemblait Michael Volle et Lise Lindstrom. Le premier n'a pas son pareil pour exprimer d'une voix ample et moelleuse la bonté et l'amour éperdu qu'il voue à cette compagne à qui ne manque que la fertilité, la seconde pliant avec adresse son large instrument aux célèbres phrasées straussiens et à ses interminables lignes gorgées d'aigus immarcescibles.

Parfaites apparition d'un jeune homme de Bror Magnus Todenes et de la Voix du faucon de Katrien Baerts, luxueux messager de Keikobad du baryton Thomas Oliemans, excellent trio d'éclopés tenu par Andreas Conrad (Bossu), Michael Wilmering (Borgne) et Nathan Berg (Manchot), sans oublier les magnifiques interventions du Chœur symphonique de Rotterdam. Une soirée d'exception.  
 
François Lesueur

 Strauss : La Femme sans ombre  (version de concert)– Théâtre des Champs-Élysées, 17 février 2020
 
Photo ©

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