Pour qui a déjà assisté à une représentation d’un des volets de la trilogie Mozart-Da Ponte que présente en ce moment La Monnaie dans la vision des metteurs en scène Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil, le fait de voir le rideau se lever sur l’immeuble bruxellois où l’action des trois opéras est censée se dérouler en une seule et même journée n’étonne plus. Mais on continue bien sûr d’admirer à juste titre l’ingéniosité et les possibilités scéniques qu’offre la vision en coupe des différents étages où s’affairent les protagonistes des trois ouvrages.

Pour ces nozze di Figaro, l’idée de situer l’œuvre dans un environnement urbain contemporain est menée avec cohérence et de réjouissants clins d’œil à l’air du temps. On ne sera donc pas surpris de voir que si le comte Almaviva est muté à Londres, c’est en raison d’accusations de harcèlement sexuel dans son présent poste à Bruxelles. On n’est pas non plus étonné de voir que ses sujets – à commencer par Figaro et, plus encore, Susanna – dénoncent en lui le prédateur sexuel plus que l’aristocrate vaniteux. Rôle travesti souvent investi d’une curieuse ambiguïté (du fait d’entendre les émois d’un tout jeune homme rendus par une séduisante voix de mezzo), Cherubino est ici un djeun en jeans et à casquette. La Comtesse n’est plus tant un personnage décidé à tout faire pour reconquérir l’amour de son volage époux qu’une femme touchante et un peu fanée, consciente de ce que le temps qui passe travaille inéluctablement contre elle. Proche ici de la Maréchale de Strauss, elle doit douloureusement admettre que, dans le monde qui est le sien, beauté et séduction n’ont qu’un temps. Ajoutons qu’elle chante « Porgi amor » dans sa baignoire pleine de mousse au moment même où, par une curieuse coïncidence, les violons de l’orchestre se mettent dans un rare moment de faiblesse à sérieusement savonner leur partie.

La distribution est homogène et de belle qualité. Le Figaro d’une belle santé vocale d’Alessio Arduini est un valet plein de ressources et conscient de sa dignité, parfaitement capable de tenir la dragée haute au Comte intrigant et plein de morgue de l’excellent Björn Bürger. La Comtesse de Simona Šaturová est très bien chantée, même si son incarnation semble un peu froide, surtout à côté de la Susanna pétillante de vie et vocalement irréprochable de Sophia Burgos, aussi bonne actrice que chanteuse. Déjà remarquable en Dorabella dans Così, Ginger Costa-Jackson est stupéfiante dans son incarnation d’un Cherubino insolent et perpétuellement branché sur son portable et les réseaux sociaux.

Du côté des seconds rôles, Rinat Shaham prête son beau mezzo à Marcellina, formant un amusant couple avec le Bartolo d’Alexander Roslavets. Le truculent Yves Saelens combine les rôles du clerc de notaire Don Curzio et de Basilio, où il est à ce point méconnaissable que l’on pourrait croire avoir affaire à deux chanteurs différents. Caterina Di Tonno est une fine Barbarina, bien loin de l’oie blanche que l’on voit parfois. Les personnages des trois opéras étant censés se croiser de temps en temps dans le projet de Clarac/Deloeil, on retrouve les pompiers Ferrando et Guglielmo (cf. notre compte rendu de Così), Fiordiligi fait elle aussi quelques apparitions, comme Elvira et Ottavio. On a également vue sur le club libertin de Don Giovanni où la chair paraît décidément bien triste. Quant à l’air « Aprite un poquegli occhi », il est ici partagé entre Figaro et Antonio, qui n’est autre que le cynique Alfonso de Così (Riccardo Novaro, très distingué).

Fort sollicité par cette trilogie, l’Orchestre Symphonique de La Monnaie se montre ici sous son meilleur jour sous la direction fine, attentive et pleine de vie de Ben Glassberg.

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