Rarement monté depuis le XIXe siècle, Il pirata, tragédie gothique de Bellini, n’en demeure pas moins le premier triomphe du maître italien. Situé aux confins d’un romantisme latent et d’une vision plus réaliste du drame, l’ouvrage raconte l’histoire d’amour secrète entre Imogene et Gualtiero, membres de deux lignées rivales, au cœur de la Sicile du XIIIe siècle. Entre puissance et caractérisation psychologique des personnages, un défi de taille attend l’Opéra de Monte-Carlo pour une version de concert présentée à l'Auditorium Rainier III.

L’œuvre s’ouvre sur une vaste tempête. Sous la baguette de Giacomo Sagripanti, l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo s’annonce subtil : le vibrato des cordes, loin d’être outrancier, se montre précis et fin. La direction du jeune chef, souple et aérienne, insuffle un potentiel incisif aux musiciens, relançant ainsi la dynamique nécessaire à la représentation de la houle.

L’effet se poursuit avec l’arrivée du Gualtiero de Celso Albelo, malencontreusement échoué en terres ennemies. Brillant et dynamique, le ténor fascine tant par sa prestance scénique que par son phrasé homogène et soigné. Les longues mélodies empreintes de vérité ont raison de tout excès ou démesure ornementale. Bientôt les duos d’amour entre le pirate presque apprivoisé et une Imogene distinguée (Anna Pirozzi) offrent par leur caractère intimiste une tournure élégante à cette narration tourmentée. Les deux artistes, formant le couple phare de la représentation, offrent chacun une prise de position interprétative claire et assumée : le ténor brille par un chant viril d’une simplicité apparente et la soprano par des envolées lyriques et passionnées caractérisées par une ornementation virtuose des hauteurs. Ces partis pris quelque peu divergents se marient pourtant admirablement et récoltent les applaudissements chaleureux des spectateurs.

L’apaisement est néanmoins de courte durée lorsqu’entre en scène le maître des lieux, Ernesto, hostile opposant de Gualtiero. C’est finalement Vittorio Prato qui tient le rôle, remplaçant George Petean souffrant. Appliqué, le baryton se distingue par une voix ronde à la technique bien rodée. A l’instar de son collègue Celso Albelo, le choix d’une interprétation sobre semble totalement en accord avec l’esprit de la partition de Bellini. Aux côtés de ces personnages masculins au tempérament assuré, se dresse la frêle Adele de Claudia Urru. Bien qu'elle peine à s’affirmer dans les tutti vocaux, nous devons cependant louer la finesse de la soprano, qui parvient à se révéler lors des mouvements calmes aux accompagnements discrets. Revêtant un rôle prépondérant dans l’ouvrage, le chœur instille une dynamique notable à l’ensemble, tout en se laissant parfois submerger par les eaux tumultueuses de l’orchestre.

L’apogée du spectacle se situe toutefois au cœur du deuxième acte, à l’occasion des suppliques d’Imogene, censées dissuader son amant de commettre l’irréparable. Ayant gagné en assurance, les chanteurs agrémentent cette version de concert par de tendres gestes et cris d’amour acharnés. Multipliant les rapprochements physiques, les interprètes se détachent davantage de la partition, renforçant alors l’apparente véracité de leurs élans passionnels. En cette première représentation à Monte-Carlo, Il pirata aura su, par le choix d’un duo de chanteurs solidement engagés dans leurs choix interprétatifs, relever l’admirable défi de fusionner richesse harmonique et expression dramatique.

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