Gioachino Rossini (1792–1868)
La Cenerentola (1817)
Dramma giocoso in due atti
Livret de Jacopo Ferretti d’après le conte de Charles Perrault
Créé à Rome, Teatro Valle, Rome, le 28 janvier 1817

En coproduction avec De Nationale Opera Amsterdam et le Palacio de las Artes Reina Sofí

Direction musicale Antonino Fogliani
Mise en scène et costumes Laurent Pelly
Collaborateur aux costumes Jean-Jacques Delmotte
Scénographie Chantal Thomas
Lumières Duane Schuler
Direction des chœurs Alan Woodbridge

Angelina Anna Goryachova
Don Ramiro Edgardo Rocha
Dandini Simone Del Savio
Don Magnifico Carlo Lepore
Clorinda Marie Lys
Tisbe Elena Guseva
Alidoro Simone Alberghini

Orchestre de la Suisse Romande
Chœur du Grand Théâtre de Genève

 

Genève, Grand Théâtre, 14 septembre 2020

Alors que les maisons d’Opéra et les salles de concerts sont soit toujours fermées, soit opèrent dans des conditions délicates, la vie musicale genevoise tire son épingle du jeu dans cette situation unique que nous connaissons et qui est loin d’être finie.

Le Grand Théâtre qui avait dû annuler des projets ambitieux et revoir sa programmation, a pu démarrer cette nouvelle saison avec une Cenerentola trépidante et malicieuse qui en cette période de pandémie est un antidote idéal à la déprime que pourrait engendrer la situation actuelle. 

La musique vivante a pu redémarrer en Suisse depuis juin dernier. L’Orchestre de la Suisse Romande s’est produit en suivant les directives précises de l’Office Fédéral de la Santé Publique (pas plus de 300 personnes dans la salle à l’époque et les musiciens à stricte distance les uns des autres). Si les conditions étaient loin d’être satisfaisantes, réentendre sur scène des musiciens a été un moment d’une rare émotion. La Grand Théâtre a pu également donner une heure d’extraits d’œuvres de Wagner et de Verdi en faisant venir des chanteurs comme Andreas Schager ou Elsa Dreisig et également faire venir pour deux récitals Jonas Kaufmann et Sabine Devieilhe.

Ariel Cahn a dû revoir ses plans et au lieu de démarrer cette saison avec la Turandot de Puccini qui demande un orchestre et des chœurs importants, il a choisi de le faire avec la production de La Cenerentola de Rossini qui faisait partie des annulations de la saison précédente qui demande un orchestre plus réduit et un seul chœur d’hommes. Par ailleurs, faire revenir des chanteurs dont les agendas sont bouleversés par les annulations a été possible vu la situation actuelle, ce qui aurait été difficile en temps normal.
Le spectacle a été donné en suivant les normes sanitaires du moment. Le nombre complet de personnes dans le théâtre, public et artistes est limité. Le public a été divisé en 8 groupes distincts de 100 personnes avec accès et bars séparés, sans possibilité de mélange. L’accès a été divisé en plusieurs portes afin de minimiser trop de regroupements entre spectateurs. C’est un orchestre réduit qui se trouve dans la fosse et les cordes doivent porter un masque durant la représentation, tout comme le public et tout comme … le chef d’orchestre, Antonino Fogliani.
C’est un choix radicalement différent de celui de l'Opéra de Zurich où la saison a démarré avec le Boris Godunov de Moussorgski avec Michael Volle dans sa prise de rôle et dans une mise en scène de Barrie Kosky, où chœur et orchestre jouent en live mais dans une salle hors du théâtre. Wanderer rendra compte très vite de cette production.

Marie Syls (Clorinda), Anna Goryachova (Angelina), Elena Guseva (Tisbe) et en arrière plan Carlo Lenore( Don Magnifico)

Une autre conséquence de cette situation est le niveau théâtral, un travail approfondi semble avoir vraiment eu lieu. Genève a souvent connu des reprises de productions venant de l’étranger montées par un assistant. Mais tout le monde sait la différence des représentations où le metteur en scène s’implique pendant les répétitions. Lorsque le Grand Théâtre avait rouvert ses portes après des années de travaux, Dieter Dorn était présent pour toutes les représentations du Ring et la qualité de la direction d’acteurs s’en était vraiment ressentie.

Carlo Lepore (Don Magnifico)

Pour cette Cenerentola, Il semble que Laurent Pelly ait été très présent. Cela se voit sur scène. Sa production fourmille d’idées pour illustrer le texte ou la musique. Cette mise en scène drôle et intelligente réalisée avec sa complice habituelle Chantal Thomas,   n’a pas de temps mort, avec des changements permanents et rapides d’espace par un jeu de praticables habile et presque chorégraphique dans une esthétique à la Disney, et en même temps, l’action est lisible sans surcharge, grâce à un jeu d’acteurs millimétré, ce qui est la caractéristique du travail de Pelly, toujours attentif aux personnages. Il y a également une conception originale avec un contraste entre le monde un peu Bidochon de Cendrillon et de ses sœurs et celui idéalisé du Prince aux couleurs rose bonbon, qui renvoie aux contes de fées ou aux albums pour enfants et qui fait de ce que vit Angelina un rêve, comme un rêve d’enfant.Les différents protagonistes sont bien caractérisés mais l’originalité vient d’une Cenerentola cherchant à plaire à sa famille, et incapable de trouver le bonheur. Il n’y a pas de scène finale de réconciliation, les personnages entament une danse un peu endiablée d’où réémerge à la dernière minute Angelina comme nous l’avions découverte au début de l’œuvre, seule avec son balai en train de nettoyer le plancher. Le côté « conte de fées » moral, que le sous-titre « la bontà in trionfo » souligne, s’efface pour s’attacher à une réalité plus grise, plus « dramma » que « giocoso ». N’oublions pas que Cenerentola n’est pas un opéra bouffe, mais un « dramma giocoso » (comme Don Giovanni !) avec des scènes qui lisent les relations familiales d’une manière particulièrement cruelle et sans concession. Avec Rossini, il faut toujours lire « derrière les yeux ».

Anna Goryachova (Angelina) et Edgardo Rocha (Ramiro)

La distribution réunie à Genève est de grande qualité. Anna Goryachova a de belles couleurs sombres dans les graves, fascine dans sa maitrise des vocalises rossiniennes et les aigus. La scène finale est particulièrement émouvante parce que la mise en scène revient à une lecture conforme à un Rossini sensible, mais sans illusions. Le reste de la distribution n’est pas en reste. Carlo Lepore confirme ses qualités de caractériste rossinien, qu’on a pu constater ailleurs et notamment très récemment dans La Cambiale di Matrimonio à Pesaro : aisance, maîtrise des sillabati,expressivité et sens de la parole. Simone del Savio a la truculence que demande le personnage de Dandini.

Anna Goryachova (Angelina) et Edgardo Rocha (Ramiro), en arrière plan, Simone Alberghini (Alidoro)

Simone Alberghini dans Alidoro reste une des voix rossiniennes de référence, notamment dans son air La del ciel nell'arcano profondo, même s’il m’a semblé avoir peut-être un peu perdu de sa couleur ou de son relief. Edgardo Rocha qu’on avait vu aux côtés de Bartoli à Lucerne (voir ci-dessous l’article de Wanderer) confirme qu’il est devenu rapidement l’un des ténors rossiniens de référence et impressionne par sa technique et la maitrise de ses aigus. Les deux sœurs Marie Syls et Elena Guseva sont les pestes incisives qu’on attend. On pourrait même dire qu’Elena Guseva, qu’on a vue à Lyon dans une Tosca exceptionnelle, est peut-être ici sous-utilisée.

Le chœur des hommes du Grand Théâtre qui a connu quelques flottements est ici en pleine forme. Antonino Fogliani, carte maîtresse d’une Aïda par ailleurs discutable la saison précédente confirme ses qualités : vitalité, transparence, support aux chanteurs et surtout élégance et raffinement. Il a su transformer la contrainte de la réduction de l’effectif orchestral en atout pour une lecture sensible et attentive au drame presque plus intimiste en quelque sorte. Il y a par ailleurs, ce qui est inhabituel pour une première, une mise en place de grande tenue avec assez peu de décalages. Au fur et à mesure que la soirée avançait, on sentait que les chanteurs étaient de plus en plus à leur aise, s’installaient dans leurs rôles avec l'expressivité et la couleur voulues.

Voici au final une production originale de grande qualité qui fait honneur à Genève, quelle que soit la situation actuelle. La qualité de cette production confirme que le choix d’Opernwelt, la grande revue allemande d’opéra de faire du Grand Théâtre de Genève le Théâtre d’opéra de l’année 2020 est pleinement justifiée et montre que le Grand Théâtre revient dans le Gotha des opéras européens.

Anna Goryachova (Angelina)

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