L’unique opéra du génie de la mélodie française Gabriel Fauré, Pénélope (1913), était programmé en prélude d’un week-end consacré au compositeur au sein du temple lyrique toulousain. Malgré la programmation d’une version de concert aux allures intimistes qui annonçait une mise en place plus simple, le Covid-19 fait encore parler de lui. En effet, après avoir écarté l’orchestre pour la dernière de Così fan tutte (magnifiquement assurée au piano forte par la cheffe italienne Speranza Scappucci avec quelques musiciens), c’est cette fois-ci le chœur du Capitole qui était mis à l’écart pour suspicion de cas positifs, deux jours avant le jour J. Si, comme l’indique Christophe Ghristi, l’impact est négligeable sur la production (le chœur n’intervenant que ponctuellement), le plateau montre déjà ses ressources en prenant à sa charge la partie du chœur dans un délai extrêmement serré, transformant la soirée en quasi « exécution privée » plus intimiste encore, de l'aveu du directeur artistique. Face à l’incertitude et aux événements de dernière minute, la capacité des musiciens et des institutions à rebondir se révèle être une qualité cruciale : elle s’illustre une nouvelle fois au Capitole.

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Pénélope au Théâtre du Capitole
© Patrice Nin

Anne Le Bozec, à la direction musicale et au piano, montre une sérénité certaine : le travail accompli en amont ne nécessite pas une véritable direction durant la représentation. Ainsi les interludes pianistiques, les échanges entre voix alternent avec une fluidité et une cohésion remarquables. La pianiste incarne à merveille l’apparente simplicité de l’œuvre de Fauré, proposant une mélodie claire (quelles magnifiques éclosions du cycle des quintes !) et distincte des frottements et glissements chromatiques des basses, amenant quiétude comme instants plus tragiques avec légèreté, s’effaçant sans difficulté pour laisser passer les voix, soulignant sans lourdeur les figuralismes présents dans la partition et ajoutant de subtils et habiles silences.

L’exposition montrant les rires des prétendants auxquels répond le piano lance immédiatement l’action. Euryclée occupe la scène face aux hommes : la voix d’Anaïk Morel s’impose comme une bulle protectrice pour sa reine harassée. L’affirmation de la modalité précipite l’apparition forcée de Pénélope : Catherine Hunold développe une palette de nuances et de timbres époustouflante. Passant de son détachement du monde et de son souvenir fantasmé d’Ulysse à la colère face au harcèlement, de ses doutes à la joie de l’être aimé retrouvé, elle invoque sur scène l’entièreté de l’héroïne homérique. L’arrivée d’Ulysse est éclatante comme on pouvait l’attendre : les « Holà ! hé ! » d’Airam Hernández sonnent avec sincérité. La prosodie et la prononciation sont magnifiquement exécutées par le chanteur espagnol qui rend chaque syllabe intelligible.

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Airam Hernández (Ulysse) et Catherine Hunold (Pénélope)
© Patrice Nin

La voix chaude de Frédéric Caton (Eumée) symbolise à elle seule la force du peuple loyal et parle d’un seul homme, rejointe par les chœurs des bergers/prétendants. Les cinq servantes comme les cinq prétendants ne proposent en revanche pas la même présence vocale : certains s’illustrent alors que d’autres restent couverts par le piano. Marc Mauillon (Ctésippe) et Mathias Vidal (Antinoüs) s’investissent dans leurs rôles, le premier grâce à sa force et son amplitude vocale marquant l'arrogance et la prétention du personnage, là où le second, avec sa voix douce et délicate, tente de masquer la violence de ses mots envers la reine. Leur effacement vocal progressif marque le retour du roi d’Ithaque. Olivia Doray (Mélantho), Victoire Bunel (Cléone) et Andreea Soare (Alcandre), pendants féminins des deux prétendants précédents, énoncent clairement l’action grâce à une prononciation impeccable et, chacune dans leur registre, trouvent un équilibre vocal convenant à l’importance de leurs personnages. L’ensemble du plateau aura d’ailleurs veillé à mettre en valeur le texte et la mélodie chère à Gabriel Fauré : la réussite est totale de ce point de vue.

Seuls de rares incidents extérieurs viennent perturber cet opéra de l’espoir : le surtitrage parfois abrégé, le pupitre peu solide d’Anaïk Morel ou encore les claquements sonores des bouchons des bouteilles d’eau destinées aux chanteurs. Mais c’est surtout une sonnerie de téléphone portable aux accents de klaxon italien, suivi de l’ire du public, qui vient gâcher pendant de longues secondes la fin du premier acte, entraînant la déconcentration visible des chanteurs qui avaient pourtant réussi à amener l’émotion à son comble – ce qui provoquera un rappel de la consigne à l’entracte « afin de ne pas perturber la deuxième partie du spectacle ».

À l’heure où chacun œuvre pour le mieux, le Capitole démontre quoi qu'il en soit ses capacités d’adaptation, quand bien même il faut sans cesse faire et défaire. La conséquence positive de la prise de parole initiale du directeur, si elle est surtout rendue nécessaire par la situation sanitaire, est que la communication entre l’institution, les artistes et le public n’en est que plus humaine et plus efficace, les représentations pleines de surprises et de vie. La maxime illustrant la force du couple éternel d’Ithaque une fois retrouvé est respectée : « nous allons vivre ».

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