Plácido Domingo (Francesco Foscari)


En ces temps de privation lyrique la représentation exceptionnelle de I due Foscari proposée par l’Opéra de Monte-Carlo faisait figure de rupture du jeûne. Celle-ci fut fastueuse, à l’image des célébrations marquant la fin des périodes de frugalité dans certaines traditions religieuses. En effet, I due Foscari, œuvre des « années de galère » selon Verdi lui-même, s’inscrit nettement dans l’héritage belcantiste tout en voyant son vocabulaire considérablement renouvelé par le compositeur. La partition suppose ainsi des moyens vocaux plus dramatiques, et l’expressivité se fait plus individuelle, émancipée de certains codes d’écriture. Ainsi, le rôle de Lucrezia Contarini articule en permanence l’intensité expressive et la virtuosité acrobatique qu’Anna Pirozzi réalise en modulant avec souplesse son timbre sonore et chaleureux. Aigus filés ou vocalises redoutables, imprécations vengeresses et implorations pitoyables, aucun sentiment n’est hors de portée de cette voix résolument grande. Face à elle Francesco Meli est un Jacopo Foscari de grande tenue. Vaillant et puissant pour les moments d’héroïsme, ses passages en voix de tête pour alléger son chant dans les situations d’intimité manquent toutefois de souplesse. Du Jacopo Loredano d’Alexander Vinogradov on ne peut que regretter la concision du rôle tant cette voix de basse est séduisante. Le Barbarigo de Giuseppe Tommaso montre le jeune ténor à son avantage, tout comme la Pisana de la soprano Erika Beretti.

Le vieux doge de Venise, Francesco Foscari, était interprété par Plácido Domingo. Malgré l’âge, la voix, le timbre et le souffle sont toujours présents. Et malgré une concentration mobilisée très attentivement par la partition et les indications du chef, le personnage vit et donne sa part au drame politico-familial. Le vieux ténor (plus que baryton) semble ainsi jouer des faiblesses qui pourtant apparaissent, et le déchirement intérieur d’un père et souverain fatigué sont aussi crédibles que poignants.

Enfin il faut saluer les prestations exemplaires de l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo et des chœurs de l’Opéra de Monte-Carlo préparés par Stefano Visconti. Les différents pupitres soulignent les coloris des accompagnements, donnant relief et théâtralité à une composition reposant sur l’usage de formules que Verdi adapte aux codes de la nouvelle esthétique théâtrale romantique. Il reste en cela fidèle au souffle de la tragédie de Byron, The Two Foscari, dont est tiré le livret. Massimo Zanetti partage cette attention et insuffle dès les premières mesures une énergie byronienne, et porte une attention constante aux chanteurs qui s’épanouissent au-dessus de cette lame de fond orchestrale.

Jules Cavalié




Photos : ©2020 – Alain Hanel – OMC