La Traviata au Liceu : l'art des silences

Xl_la_traviata_liceu_2020-bofill © Bofill

Le Liceu de Barcelone a pu donner la première de sa Traviata le 5 décembre dernier, avant de devoir renoncer aux représentations des jours suivants en raison du contexte de négociation entre les institutions culturelles catalanes et les autorités sanitaires à propos de la capacité maximum des salles de spectacles et d’opéra. Les représentations de cette Traviata ont pu reprendre sur scène à partir du 14 décembre et la production parviendra peut-être maintenant à s’imposer comme le point d’orgue du Liceu en cette période de fêtes. On l’espère puisque l’ouvrage de Verdi est incroyablement populaire, adoré par le public et pourrait aider le théâtre à renflouer ses finances.

La production est signée par David McVicar, et avait été créée au Scottish Opera de Glasgow en 2008, avant de faire l’objet d’une tournée réussie dans de nombreux Opéras. La mise en scène est conventionnelle et traditionnelle, mais esthétiquement très réussie et truffée de détails qui enrichissent sa dramaturgie.

Le Liceu de Barcelone enchaine par ailleurs les représentations avec plusieurs distributions : le théâtre a fait appel à quatre sopranos pour interpréter le rôle-titre de Violetta – Kristina Mkhitaryan, Pretty Yende, Lisette Oropesa et Ermonela Jaho – aux côtés de deux ténors pour le rôle d’Alfredo (Pavol Breslik et Dmitry Korchak), et trois barytons pour le rôle de Giorgio Germont (George Gagnidze, Giovanni Meoni et Àngel Òdena). Dans la fosse, le podium est confié à Speranza Scappucci, déjà venue à Barcelone pour diriger la version de concert de l'Attila de la saison 2017-18.


Laura Vila, Tomeu Bibiloni (© A. Bofill)


La Traviata, Gran Teatre del Liceu (© A. Bofill)

Le soir du 17 décembre, qui affichait un haut niveau artistique, le rôle de Violetta était chanté par la soprano russe  Kristina Mkhitaryan qui faisait là ses débuts au Liceu. Le rôle d’Alfredo était interprété par le ténor mexicain Arturo Chacón Cruz, appelé à la dernière minute pour remplacer Dmitry Korchak, annoncé malade. Et enfin, Àngel Òdena endossait le rôle de Giorgio Germont.

Au fil de la soirée, sur un plan musical, la représentation s’est progressivement améliorée – pour n’être d’abord que seulement correcte, avant de rehausser significativement son niveau à partir du deuxième acte.

Kristina Mkhitaryan exécute parfaitement son air « Sempre libera », mais n’est pas exceptionnelle. Elle se révèle néanmoins dans un registre dramatique époustouflant dans le duo du deuxième acte avec Giogio Germont. Elle s’impose avec autorité dans le final de l’acte, et emporte définitivement l’adhésion dans le troisième avec un superbe « Addio del passato ». Elle y fait la démonstration du plus beau filato dans les terminaisons pianissimo du phrasé et par-dessus tout, elle déploie une intensité dramatique aussi puissante que poignante.

Arturo Chacón Cruz a rejoint la distribution tardivement, et n’a pu que très peu participer aux répétitions. Il donne le sentiment de débuter la soirée avec moult précautions : son « Libiano » semble davantage chanté par un prudent ténor d’église que par un chanteur d’opéra passionné. Pour autant, il gagne en confiance au fil de la soirée et son « De miei bollenti spiriti » est pleinement opératique dans le style, et dès lors, il améliore sa prestation tout au long de la soirée et l’achève de façon remarquable.

Quant à Àngel Òdena, il excelle du début à la fin dans son interprétation exemplaire de Giorgio Germont – au terme du toujours très attendu « Di Provenza il mar il suol », il est gratifié de longs applaudissements mérités.

Mais le grand mérite de ce résultat musical de haute volée est à attribuer à l’excellent travail de la cheffe italienne Speranza Scappucci. Elle parvient à unir les voix et les instruments, à équilibrer avec finesse et précision la sonorité de l'orchestre, et faire briller les bois lorsque c’est nécessaire. Mais son grand triomphe repose sans doute sur sa gestion des silences, sachant quand ralentir le tempi, ou retenir le fermate le temps nécessaire pour lui donner tout son sens dramatique.

Savoir faire parler les silences est sans doute l’un des plus grands talents d’un chef d’orchestre et Speranza Scappucci peut se targuer d'en maîtriser l'art à merveille.

traduction libre de la chronique de Xavier Pujol
Barcelone, 17 décembre 2020

La Traviata au Gran Teatre del Liceu jusqu'au 30 décembre 2020.

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