Linda di Chamounix au Maggio Musicale Fiorentino : scène frigorifiée, interprétation chaleureuse

Xl_linda_di_chamounix © Michele Monasta

Le décor est bien celui de Chamonix, pour l’histoire à l’eau de rose entre Linda, une fille de métayers, et Carlo, noble se faisant passer pour un peintre auprès de la jeune femme, qui est par ailleurs convoité par le Marquis de Boisfleury. Le Préfet conseille alors à Linda de se rendre à Paris en compagnie des jeunes habitants en quête de travail pendant la redoutable période de froid. Là-bas, elle est hébergée par Carlo, mais est vite retrouvée par le Marquis. Le père de Linda est outré qu’une jeune femme aussi honnête vive avec un homme sans être son épouse. La mère de Carlo s’oppose en outre à leur union. La coupe est pleine pour Linda, qui sombre dans la folie, et pourra être raccompagnée à Chamonix par le pouvoir de la chanson populaire entonnée en boucle par son ami Pierotto. Tout est bien qui finit bien : les parents pardonnent et donnent leur bénédiction à ce mariage, tout comme le Marquis, acceptant de lâcher l’affaire.

Linda di Chamounix est l’un des derniers opéras que Donizetti ait pu composer avant que la paralysie et la folie dues à sa syphilis ne l’empêchent de poursuivre sa production. L’Italie et Paris étaient dans la poche ; restait à conquérir Vienne. Mission accomplie en 1842 auprès de la cour des Habsbourg pour cet opéra semiseria adapté de la pièce La Grâce de Dieu, d’Adolphe-Philippe d’Ennery et Gustave Lemoine, remaniée pour être représentée à Paris quelques mois plus tard. Des situations tragiques (rappelant l’amour « social » impossible de Luisa Miller ou de La Traviata), quelques personnages comiques : l’équilibre est bien trouvé, d’autant que le public viennois apprécie particulièrement la vertu et la chasteté du rôle-titre. Le cru est aussi excellent au niveau musical : Donizetti renouvelle son langage en modifiant la structure des arias et en entremêlant ces derniers avec des dialogues et des ensembles.

Michele Gamba fait honneur à la partition grâce à son talent de superposition moelleuse des timbres et plans surfacés dans un rythme précis et pourtant épris de liberté. Aux côtés du superbe Orchestre du Maggio Musicale Fiorentino, c’est la prouesse d’un coiffé-décoiffé très subtil et en parfaite phase avec le belcanto, qui est trouvée. On admire la façon dont le son disparaît peu à peu des accords, on savoure le relief de chaque instant au service d’une série de numéros vocaux jubilatoires.

Les thématiques et le sous-texte (la jeunesse part en réalité à Paris pour nettoyer les cheminées et vendre son corps, la « thérapie » de Linda passe par la musique…), voire l’ironie du propos, auraient pu inspirer à Cesare Lievi une mise en scène un peu moins flagada, même en période COVID. Il n’y a rien à voir (à part la coupe très laide d’un intérieur au deuxième acte), rien qui s’anime (les chanteurs n’y croient pas vraiment non plus), si bien qu’une version de concert aurait sans doute été plus captivante. Le streaming pour le streaming n’est pas le meilleur remède, surtout à un stade où nombreux sont ceux qui en ont par-dessus la tête du tout numérique ! On reste cependant stupéfait par la qualité des costumes, surtout dans le rendu des matières.

Jessica Pratt, qui avait incarné avec classe les quatre rôles féminins des Contes d’Hoffmann à l’Opéra National de Bordeaux en septembre 2019, se trouve ici dans la difficulté de la mise en vie, face à une mise en voix globalement maîtrisée. Si les indications musicales sont interprétées à la lettre, si la rêverie de sa Linda s’attache à développer ses phrases, on aurait attendu davantage de finesse pour bâtir un personnage en trois dimensions. Son partenaire Francesco Demuro a le timbre rêvé, des nuances voluptueuses et des textures réconfortantes pour un Carlo aux aigus très nets. L’aura de Vittorio Prato illumine de musicalité toutes ses interventions : nimbé d’étoiles, sans surchauffe expressive, concentré dans le son. Fabio Capitanucci campe un Marquis goulu à la diction imparable, malgré quelques rares passages enroués. Pierotto n’aurait pu être mieux représentée que par la formidable Teresa Iervolino, pesant magnifiquement toutes ses notes. Marina De Liso, tendre et projective, ainsi que Michele Pertusi, un peu trop sédentaire vocalement parlant, complètent cette distribution On ne se prononcera pas sur le chœur, qui par le fait d’être masqué et mal placé, n’est pas en mesure d’offrir une seule intervention au tempo adéquat.

Cette dame de Haute-Savoie, en dépit de ses atouts musicaux, ne sera pas encore celle qui fera voyager loin après le couvre-feu de 18h.

Thibault Vicq
(maggiofiorentino.com, janvier 2021)

Linda di Chamounix, de Gaetano Donizetti, jusqu’au 15 février 2021 sur le site du Maggio Musicale Fiorentino

Crédit photo © Michele Monasta

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