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Metz
Opéra-Théâtre
02/05/2021 -  et 3* février 2021
Giacomo Puccini : Madama Butterfly
Francesca Tiburzi (Cio Cio San), Thomas Bettinger (F. B. Pinkerton), Vikena Kamenica (Suzuki), Jean-Luc Ballestra (Sharpless), Daegweon Choi (Goro), Déborah Salazar (Kate Pinkerton), Giacomo Medici (Yamadori, Bonzo), Carlo Sella (Dolore)
Chœur de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole, Nathalie Marmeuse (cheffe de chœur), Orchestre national de Metz, Beatrice Venezi (direction musicale)
Giovanna Spinelli (mise en scène), Elisabetta Salvatori (décors), Giovanna Fiorentini (costumes), Jacopo Pantani (lumières), Bertille Monsellier (chef de chant)


(© Luc Bertau/Opéra-Théâtre de Metz Métropole)


Le cœur de l’opéra bat encore à Metz. Paul-Emile Fourny, le directeur de l’Opéra-Théâtre, a reporté trois fois la comédie musicale Frankenstein Junior, d’après Mel Brooks, et a maintenu Madame Butterfly, obtenant une captation télévisuelle qui permet aux artistes de voir aboutir leur travail. Nous assistons à la générale du 3 février, qui voit une équipe presque exclusivement féminine (cheffe d’orchestre, cheffe de chœur, régisseuse, metteuse en scène, créatrices des décors et costumes) mener à bien une nouvelle production devant un public très réduit (mais le directeur a tenu à inviter quelques étudiants «en souffrance», un beau geste symbolique pour la transmission de l’art vivant).


Cette nouvelle production nous épargne la sempiternelle couleur locale, les cloisons coulissantes des maisons de Nagasaki et le petit pont sur le jardin japonais (et aussi le seppuku final, symbolisé). Le concept de Giovanna Spinelli est de nous faire vivre l’histoire comme un retour en arrière: dans un décor triste et froid représentant un hôpital, éclairé de trois grandes lampes blafardes, Pinkerton, trente ans après les faits, malade, avoue à son fils l’origine de sa naissance, et nous fait revivre l’histoire de Butterfly, qui arrive progressivement, d’abord en ombres chinoises derrière un tulle, puis derrière un paravent de la chambre d’hôpital, avant d’accéder à Pinkerton, sur son lit. A partir du deuxième acte, le décor est inversé: on est chez Butterfly, et derrière le tulle devenu transparent, on aperçoit la chambre d’un Pinkerton en proie au délire, veillé par Kate et le fils de Butterfly, appelé Dolore (comme le dit symboliquement la geisha à l’acte II), qui apparaît simultanément du côté de chez Butterfly, mais également à l’âge adulte, de sorte qu’on perçoit continuellement les conséquences à venir des actes des protagonistes par sa présence muette.


Pinkerton devient un personnage plus torturé, plein de remords, moins antipathique qu’à l’accoutumée, et cette conception convient parfaitement à la vocalité de Thomas Bettinger, dont le timbre profond et ambré s’accorde mieux encore à cet être alité et prisonnier de son passé, comme une métaphore de papillon en cage, paniqué et affaibli, qu’au factice et illusoire clinquant que Puccini accorde à l’officier dans sa version traditionnelle (et c’est un défi, puisqu’il doit souvent chanter allongé au premier acte). Son «Son vil!» du troisième acte prend ainsi un sens particulier, mais le ténor est aussi convaincant dans les moments d’éclat que recèle sa partition, jusqu’à l’ut de la fin du duo d’amour, grâce à une remarquable projection.


Jean-Luc Ballestra est un Sharpless de haut niveau: le timbre est magnifique, la diction claire, l’allure distinguée; il est à son meilleur avec Butterfly à l’acte III, même si l’expression de son remords est amoindrie par la mise en scène, dans la mesure où son attitude complaisante voire complice avec Pinkerton venu «acheter» sa geisha est plus effacée à l’acte I, dans le contexte de la chambre d’hôpital. Si Daegweon Choi présente une voix de ténor avenante, son Goro trop bonhomme ne provoque pas l’aversion que la vilénie du personnage doit inspirer. Déborah Salazar est une Kate d’une formidable classe, qui par sa seule présence exacerbe la souffrance de Cio Cio San. Giacomo Medici campe un bonze percutant mais un Yamadori effacé.


Francesca Tiburzi a déjà chanté Amelia et Tosca sur la scène messine. Autant dire que c’est un authentique spinto italien, devenu rare aujourd’hui. Son timbre est sombre et lumineux à la fois, la voix est ample et totalement maîtrisée, l’intonation sans ombre. L’air d’entrée et son bémol ne lui posent pas de problème, mais elle sait surtout éviter l’étalage excessif de sa puissance: sa diction est cristalline, et elle respecte scrupuleusement les piani de la partition, laissant ainsi sa voix se développer naturellement jusqu’aux aigus fortissimo pleins mais jamais démonstratifs. Ainsi de «l’aspetto» à la fin d’«Un bel di», amer mais pas dardé comme un défi comme on le voit souvent. L’artiste ménage ses effets sur la durée du rôle, pour obtenir une émotion palpable chez les rares spectateurs à la fin du troisième acte: la messa di voce sur «m’ha scordata» face à Sharpless est splendide, les scènes finales serrent le cœur, la puissance longtemps contenue des aigus libérant un noble pathos, autant que le parlando à nu («Un Si, un No, di’ piano: Vive?»). Elle trouve en Vikena Kamenica, qui a chanté Dalila à Metz en 2018, une partenaire d’envergure, au mezzo ample et puissant, déséquilibrant un peu le duo des fleurs.


La cheffe d’orchestre Beatrice Venezi, Lucquoise d’à peine 30 ans, dirige une partition légèrement réduite due à Ettore Panizza. Celle-ci est moins luxuriante que l’orchestration habituelle, ce qui étonne nos oreilles mais convient mieux à la mise en scène assez froide de Giovanna Spinelli et permet de gérer un ensemble moins étoffé, placé en grande partie au parterre. On remarque particulièrement de sa part une gestion très fluide des cordes à l’acte III, et un art de la progression dramatique très accompli: la tension ne cesse de croître dans cet acte, jusqu’à des climax orchestraux magnifiquement dosés (et quelles bouleversantes timbales dans les scènes finales!). Le chœur maison, dirigé par Nathalie Marmeuse, lui apporte une contribution à la hauteur de sa réputation, notamment dans un chœur à bouche fermée d’une belle délicatesse.


Nous voilà tous, maintenant, comme des Butterfly à espérer, contre vents et marées, que l’opéra, comme le fugace Pinkerton, revienne éclairer nos vies. Tornera!



Philippe Manoli

 

 

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