I Lombardi alla prima crociata : un Verdi de jeunesse exaltant à Monte-Carlo

Xl_162-3._g_n_rale_-_i_lombardi__2021_-_eric_dervaux_-_omc__2_ © Eric Dervaux

Après les rares I Due Foscari en décembre dernier, l’Opéra de Monte-Carlo continue de défendre et de mettre en valeur les ouvrages du jeune Giuseppe Verdi, les « années de galère » pour reprendre les célèbres mots du compositeur italien. C’est cette fois aux Lombardi alla prima crociata d’être mis sous les projecteurs, une œuvre ardente créée à La Scala de Milan en 1843, moins d’un an après Nabucco, dans laquelle on découvre le bouillonnement d’un génie qui n’a pas encore trouvé sa pleine maturité. Chez ces personnages furieusement romantiques comme ces courts tableaux aux couleurs violentes, toute une époque s’exalte. Pour un sujet inspiré de Tommaso Grossi et du Tasse, l’éloignement dans le temps (le Moyen-Âge) et dans l’espace (l’Orient) ne sert ainsi qu’à mieux parler d’une réalité immédiate, propre à l’Italie du Risorgimento. Ajoutons que plusieurs chefs d’œuvres ultérieurs sont en germe dans cette partition qui vaut bien mieux qu’un simple brouillon. 

Pour son théâtre, Jean-Louis Grinda a importé une ancienne production de feu Lamberto Puggelli, qu’il avait signée il y a vingt ans pour le Teatro Regio di Parma, ici reprise par Grazia Pulvirenti. L’homme de théâtre italien en proposait une lecture à la lumière d’une actualité toujours aussi brûlante, avec des résultats intéressants sur le plan visuel, grâce à des jeux de contrastes entre la fixité emblématique du « Mur des lamentations » et un défilé rapide d’images évoquant une réalité qui nous concerne au premier chef. Une actualisation indirecte, donc, comme une projection de situations – également dans l’acception technique, cinématographique du terme –, qui fonctionne bien, à l’exception de certaines allusions trop appuyées (l’insistance sur le célèbre tableau de Picasso « Guernica » et sur d’autres images de massacres), avec la contribution raffinée de Paolo Bregni pour la scénographie et de Santuzza Cali pour les costumes.

Nino Machaidze, prise de rôle dans I Lombardi alla prima Crociata
Nino Machaidze, I Lombardi alla prima crociata © 2021 - Eric Dervaux

Le plateau vocal est de tout premier plan. Le vétéran italien Michele Pertusi prête ses admirables qualités d’interprète à Pagano – notamment sa voix ample et arrogante et son aigu chaleureux et rond –, offrant une vision convaincante de ce personnage fuyant et ambigu. On salue aussi la performance de la soprano géorgienne Nino Machaidze en Giselda, qui triomphe avec brio et éclat des écueils d’un rôle redoutable, qu'elle interprète ici pour la première fois sur scène. Sa fréquentation assidue du répertoire belcantiste par le passé lui permet par ailleurs une vocalisation et une souplesse vocale hors-pairs. Un petit bémol cependant, la diction de la langue de Dante s’avère perfectible… De son côté, le ténor mexicain Arturo Chacon-Cruz apporte le meilleur de son art à Oronte : voix bien placée dans le masque, homogénéité des registres et sens des nuances, qui font particulièrement merveille dans l’air le plus connu de la partition, « La mia letizia infondere », cheval de bataille de Luciano Pavarotti lors de ses récitals à l'époque. Le ténor italien Antonio Coriano fait également grosse impression en Arvino, avec un timbre solaire de ténor lyrique et un aigu percutant. Dans les emplois secondaires, il n’y a que d’heureuses surprises, avec un petit plus en faveur de la Viclinda vibrante de Cristina Giannelli et du Pirro plein d’aplomb de Daniel Giulianini.

Mais le spectacle est avant tout porté à bout de bras par le chef italien Daniele Callegari, qui excelle à donner vie et couleurs aux ouvrages de Verdi. Les nombreux contrastes sont ménagés avec un sens de la progression dramatique qui n’exclut ni le culte du grand arc mélodique, ni le travail de mise en exergue du détail instrumental, en particulier dans le sublime solo de violon précédant le fameux « trio du baptême » au III. Callegari dirige magnifiquement ce mini-concerto, apportant un soutien sans faille à David Lefèvre, brillant premier violon de l’OPMC. Les épisodes choraux – superbement interprétés par un Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo aussi omniprésent qu'admirable de cohésion et de variété dans les effets dynamiques – contribuent également au succès du spectacle monégasque, notamment dans un souverain « O Signore dal lettio natio » (qui est comme le pendant du célébrissime « Va pensiero »).

Emmanuel Andrieu

I Lombardi alla prima crociata de Giuseppe Verdi à l’Opéra de Monte-Carlo, jusqu’au 28 mars 2021

Crédit photographique © Eric Dervaux

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