Streaming : Un entêtant trio de tête pour Andrea Chénier à l’Opéra National de Grèce

Xl_gno_andrea_chenier_-_photo_a._simopoulos__117_ © A. Simopoulos

Le 25 mars, la Grèce fêtait le bicentenaire du début de sa guerre d’Indépendance à l’empire ottoman. La programmation 2021 de l’Opéra National de Grèce est en phase avec ces commémorations en proposant tout au long de l’année des œuvres célébrant les compositeurs grecs tels que Paolo Carrer, mettant en scène des ouvrages dans lesquels les dominations basculent (Les Noces de Figaro, Lady Macbeth de Mzensk…) ou encore faisant redécouvrir des figures impliquées dans la Révolution grecque, à l’image de Lord Byron. Premier arrêt opératique insurrectionnel sur la scène du GNO Stavros Niarchos Hall : Andrea Chénier, le grand succès d’Umberto Giordano ancré dans la Révolution française et la Terreur, filmé à la fin du mois de janvier. Les trois interprètes principaux y sont toujours attendus au tournant ; mission superbement accomplie pour Marcelo Álvarez, Maria Agresta et Dimitri Platanias !

Le ténor argentin a la diction cristalline et le timbre irradiant de netteté dans le rôle-titre. Il joue à saute-mouton sur des nuages de phrases qu’il parvient à faire durer dans l’attente langoureuse des suivantes. Ces touches claires, ce sont les convictions déclamatives et passionnées du poète, qu’il tapisse d’une beauté majestueuse. La projection engageante structure des lignes robustes, mais dénuées de force. Il gagne une sorte de mysticisme grâce à ses oxymores vocaux : dans la même nuance, il est capable de chanter le grandiose à l’intime, parfois d’une seconde à l’autre. Il y croit dur comme fer, et forcément nous aussi ! Maria Agresta est frissonnante, enveloppée d’amour sous les traits de Maddalena di Coigny. Déterminée, elle va droit au but dans des remous jaillissant en une combattivité de velours. Femme de valeurs, femme de vérité, elle porte l’insurrection de ses sentiments aussi haut que la verve de la barricade. Elle laisse deviner son exaltation, mais ne l’exhibe pas, ce qui la rend d’autant plus bouleversante. Si le chant de Marcelo Álvarez voit, celui de la soprano regarde. Elle imagine avoir la responsabilité des malheurs qui l’affligent, elle a conscience de tout ce qui lui arrive, et pourtant elle garde la tête haute, elle écrit le cours sa propre histoire grâce à une distance presque méthodologique, une élasticité et une élégance à toute épreuve. Le tour de passe-passe de Carlo Gérard est assuré par Dimitri Platanias, qui ne connaît que le beau dans ses émissions. Comme à la Royal Opera House en 2019, le baryton grec respire le confort d’élans véristes où la force produit sa sève dans l’orientation de la voix plutôt que dans sa densité. La longévité du souffle fait effectivement toute la différence : la rondeur de l’approche au son sculpte une série de notes qui trouvent parfaitement leur place les unes après les autres, sans hachures, sans angles. L’humanité « empêchée » et l’amertume coupable du personnage s’illustrent pour le meilleur à chaque instant. Il semble tirer un peu plus sur la fin, mais n’est-ce pas dans l’esprit du personnage ?

Parmi les seconds rôles, nous apprécions la rigueur amicale de Yanni Yannissis en un Roucher contenant la tension dramatique, et la mondanité souriante d’Ines Zikou en Contessa. Marissia Papalexiou surfe avec habileté entre les phrases de Bersi et Christos Kechris (bien que peu sonore) imprègne son Incroyable de couleurs bien trouvées. Le Chœur du Greek National Opera part sur des bases un peu mollassonnes  pour s’émanciper davantage par la suite, et faire ressentir l’adrénaline des ferveurs populaires de la fin du XVIIIe siècle. Le chef Philippe Auguin éclaire la partition comme un ensemble de moments musicaux. Il réussit parfois à emporter dans de magistraux tourbillons orchestraux, où l’amour devient acmé (comme dans le duo Chénier-Madeleine à la fin du deuxième acte), mais peut donner à d’autres moments l’impression d’enchaîner des miniatures sans grand lien les unes aux autres. Cela est peut-être dû aux cordes quelque peu maladroites, trop « militantes » dirions-nous, ou à la prise de son, qui creuse un fossé étonnant entre les cordes et les vents…

Cette production classique de Nikos Petropoulos, reprise par Ion Kessoulis, tire son épingle du jeu par son esthétique lâchée et ses costumes somptueux. Malgré le peu de mouvements, les tableaux n’appellent étonnamment pas l’ennui, et c’est plutôt volontiers que nous nous plongeons dans cet univers perruqué et gentiment révolté.

Thibault Vicq
(tv.nationalopera.gr, mars 2021)

Andrea Chénier, d’Umberto Giordano, disponible sur GNO TV au tarif de 10€ jusqu’au 31 juillet 2021

Crédit photo (c) A. Simopoulos

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