Mort à Venise de Britten à Strasbourg : un opéra par temps d’épidémie

- Publié le 16 avril 2021 à 14:31
Le duo Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil mettait en scène en février dernier l'ultime chef-d'œuvre lyrique du compositeur britannique, avec un époustouflant Toby Spence dans le rôle principal. Une production à visionner dès ce week-end sur les chaînes de télévision du Grand Est, puis sur le site Internet de l'Opéra national du Rhin.
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Benjamin Britten fut fort marri que la Mort à Venise de Visconti sorte dans les salles de cinéma avant la création de son ultime ouvrage lyrique, lui aussi inspiré de la nouvelle de Thomas Mann. Pour ce nouveau spectacle de l’Opéra national du Rhin, jouée sans public mais devant les caméras, Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil règlent la question en tournant le dos à l’imagerie viscontienne dont furent imprégnées nombre de productions. Ils tournent même le dos à Venise, qui ne sera évoquée que par une toile de Canaletto qu’admire Aschenbach. Lui, c’est un romancier d’aujourd’hui, un peu paumé dans une cité moderne mais aussi dans sa tête, porté sur les substances illicites – Clarac et Deloeuil disent s’être inspirés de la figure de David Foster Wallace, maître américain de le littérature grunge. Tout l’opéra devient donc un vaste paradis artificiel qui se passe dans l’imagination malade du créateur.

Menace épidémique

Les tableaux s’enchainent avec un certain brio, auquel concourt un usage pertinent de la vidéo. Mais filée deux longs actes durant, la métaphore paraît d’autant plus laborieuse que certains parti-pris vont à l’encontre de l’œuvre. Faire d’Aschenbach un personnage décadent, c’est priver la narration de la tension entre la discipline que s’impose l’écrivain chez Thomas Mann et l’éveil de sa sensualité. De même, faire de Tadzio le double enfant du protagoniste, et non plus un éphèbe à la beauté venimeuse, anéantit un des ressorts essentiels du drame, celui de la fascination érotique qu’éprouve Aschenbach. L’émergence de la menace épidémique – le choléra – fait bruyamment écho à notre actualité… mais à cela les metteurs en scène ne sont pour rien.

Souplesse et précision

La fosse offre davantage de satisfactions, quoique le Symphonique de Mulhouse aurait sans doute eu besoin de quelques représentations pour véritablement s’approprier la complexité du vocabulaire orchestral. En découle, malgré la souplesse et la précision du geste de Jacques Lacombe, une certaine fragmentation du discours, peu propice à la continuité quasi-cinématographique de l’écriture.

Toby Spence époustouflant

Les véritables bonheurs viendront donc du plateau, où le baryton plein de sève de Scott Hendricks donne une épaisseur diabolique aux personnages dionysiaques (Le Voyageur, le Vieux Gondolier, le Directeur d’hôtel, le Coiffeur…). L’Apollon de Jake Arditti le combat sans faiblir par les élancements élégiaques de son contre-ténor. Triomphe surtout, dans rôle écrasant d’Aschenbach, un Toby Spence époustouflant de santé vocale, d’intelligence dans la sculpture des mots, consumé par la composition à laquelle l’astreint la mise en scène. Cette incarnation, à elle seule, valait bien que le spectacle soit immortalisé par la vidéo.

Mort à Venise de Britten. Strasbourg, Opéra du Rhin.

Diffusion le 17 avril à 20h45 sur viàVosges et Canal 32 ; à 22h30 sur viàMoselle ; le 18 avril à 20h45 sur Alsace 20. Repay disponible sur « L’OnR chez vous » dès le 18 avril.

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