Une prise de rôle réussie pour Enea Scala dans Werther à l'Opéra Ballet de Flandre

Xl_enea_scala_dans_werther___l_opera_ballet_des_flandres © Tom Cornille

Alors que les Opéras de Montpellier et de Nice s’apprêtent à donner une version scénique de Werther, c’est sous un format concertant que l’Opéra Ballet de Flandre doit se contenter de jouer le chef d’œuvre de Jules Massenet. Mais grâce à l’extraordinaire énergie déployée par la cheffe lituanienne Giedre Šlekytė à la tête de la phalange maison, et le soutien sans faille apporté à ses chanteurs (qui faisaient tous leurs débuts dans leur rôle respectif), la soirée s’est transformée en une exceptionnelle réussite.

Côté voix, le ténor sicilien Enea Scala semble bien décidé à infléchir une carrière jusque-là principalement consacrée à l’insolence vocale des opéras belcantistes, et campe un Werther aussi idéal que son récent Hoffmann dans la maison voisine de La Monnaie de Bruxelles : beauté vocale solaire et introspective, puissance du registre aigu, articulation parfaite du texte, présence scénique intense malgré une partition en main qu’il ne lâchera que pendant son grand air « Pourquoi me réveiller » (Lied d’Ossian). Mais nous ne sommes pas près d’oublier non plus le moment où il entonne « Lorsque l’enfant revient d’un voyage avant l’heure », propre à attendrir les pierres...
On craint pendant un moment que sa Charlotte ne soit gênée par l’ombre d’une telle étoile, mais il n’en est rien grâce à la présence magnétique et la voix opulente de Rihab Chaieb, qui a reçu le troisième prix au fameux Concours Operalia en 2018. La mezzo canado-tunisienne fait montre d'une grande classe et déploie des moyens aussi généreux qu’affirmés, également attentive aux nuances et au rendu des couleurs. Enfin, comme elle le précise lors d’une interview pendant l’entracte, le français est bien l’une de ses deux langues maternelles, mais la diction gagnerait cependant à être plus châtiée.
De son côté, le baryton wallon Ivan Thirion campe un Albert plus humain que de coutume dans cet emploi, grâce à la chaleur et à la noblesse de son phrasé. Quant à la jeune soprano colorature italienne Elisa Soster, elle s’avère un modèle de beau chant et de grâce en Sophie, et l’on ne trouvera nulle mièvrerie ou afféterie ici. La basse américaine Justin Hopkins offre sa voix coulée dans le bronze au Bailli (un personnage qui n’en demande cependant pas tant…), tandis que Nabil Suliman et Daniel Arnaldos (dans le couple Johann et Schmidt) tirent brillamment leur épingle du jeu.

Et à tout seigneur tout honneur, nous terminerons nos commentaires avec cette jeune cheffe dont on entendra reparler : Giedre Šlekytė livre ici une lecture de la partition massenetienne de bout en bout vibrante et passionnée, d’une tension dramatique sans faille, grâce à l’appui d’un Orchestre de l’Opéra Ballet de Flandre plus somptueux que jamais, qu’elle amène inexorablement vers un climax quasi wagnérien dans le dernier acte. Brava !

Emmanuel Andrieu

Werther de Jules Massenet à l’Opéra Ballet de Flandre (Gand), le 7 mai 2021

Crédit photographique © Tom Cornille

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