La Chauve-Souris de Strauss à Rennes : une éclatante réussite !

Xl_la_chauve-souris___rennes © Laurent Guizard

L’Opéra de Rennes vient de proposer – en coproduction avec Angers-Nantes Opéra, et les Opéras d’Avignon et de Toulon – une réjouissante nouvelle production de La Chauve-Souris de Johann Strauss, signée par Jean Lacornerie, le directeur du Théâtre de la Croix-Rousse, dont on a pu goûter moult fois le talent grâce à ses coproductions avec l’Opéra de Lyon. La première bonne idée qu’il a eue a été de mélanger les versions allemandes et françaises de l’ouvrage, en gardant la langue originale pour les airs et le français pour les parties parlées. Mais il a surtout eu l’idée géniale de confier à un seul et même personnage, exogène au livret, le soin de les déclamer à leur place. D’une part cela facilite la compréhension pour les spectateurs néophytes, et cela confère un incroyable dynamisme à la soirée, surtout quand on choisit Anne Girouard, la célèbre et drôlissime Guenièvre dans la série Kaamelott, pour incarner cette narratrice / femme-orchestre / caméléon qui endossera également les habits de Frosch (l’impayable gardien de prison) dans le dernier acte. Habillée à la Marlène Dietrich tant qu’il s’agit de mener le bal, elle quitte ses oripeaux pour incarner un Frosch accroc au Cognac dont il s’imbibe de matin au soir, faisant crouler de rire les quelques rares spectateurs présents dans la salle aux étages, tandis que des caméras occupent le parterre puisque le spectacle sera diffusé ultérieurement à la fois sur France Télévisions mais aussi sur écrans géants un peu partout dans la Région le 9 juin, pour célébrer la seconde phase du « déconfinement ».

Du spectacle lui-même, il faut saluer l’ingénieux et superbe décor de Bruno de Lavenère, composé au I d’un immense cadre à foyers multiples (sous forme de cadres aussi : voir la photo), représentant la demeure du couple Eisenstein/Rosalinde, tandis qu’une simple rampe d’escalier et des rideaux dorés suffiront à poser le décor du palais du Prince Orlofsky lors du bal costumé qu’il organise. L’acte III garde l’escalier (qui mène aux cellules) et une cage à transformation voit défiler un à un les principaux protagonistes de cette histoire de fous dont Falke tire les ficelles par vengeance…

La soprano allemande Eleonore Marguerre et son compatriote Stephan Genz se retrouvent en Bretagne pour incarner le couple Rosalinde / Eisenstein, après l’avoir déjà défendu à l’Opéra de Lausanne en 2018. La première, qui nous a accordé un entretien, propose une remarquable Rosalinde, sophistiquée et sûre d’elle. Le timbre est à la fois corsé et brillant, et la célèbre « Czardas » s’avère un moment de félicité, quoique l’aigu final soit quelque peu induré. Même satisfaction pour son Eisenstein de mari, dont Stephan Genz souligne la parfaite fatuité bourgeoise, avec une voix qui en revanche possède toute la rondeur et le moelleux requis. De son côté, la jeune soprano colorature Claire de Sévigné (Adèle) possède l'éclat vocal et la présence scénique exigés par sa partie, notamment dans la scène « du rire ». Dans le rôle d’Alfred, le ténor d'origine serbe Milos Bulajic est un amant digne du théâtre de boulevard, avec une voix qui fait preuve de puissance, en plus de qualités d'émission et d'un timbre agréable qui ajoutent au charme du personnage. Efficacement grimée, la mezzo allemande Stephanie Houtzeel joue à merveille les travestis (comme on l’avait déjà souligné avec sa composition du « Chevalier à la rose » viennois il y a deux ans), et campe un Prince Orlofsky impeccale, sombre de timbre et magnétique de présence. Enfin, Horst Lamnek tient son rang en Frank, aux côtés d’un Falke tout aussi solide (Thomas Tatzl), d'une Ida (Veronika Seghers) pleine d'aplomb, et d’un François Piolino toujours aussi impayable dans chacun de ses rôles (ici le Dr Blind).

A la tête d’un Orchestre National de Bretagne réduit de moitié pour des raisons trop connues, le fringant septuagénaire Claude Schnitzler (qu’Anne Girouard interpelle à moult reprise par des « Monsieur Claude ! » pendant son numéro du III) n’en impulse pas moins un rythme soutenu, et remplace un éventuel clinquant pour mieux faire ressortir les couleurs de la partition de Strauss. Et de leurs côtés, les membres du Chœur de chambre Mélisme(s) (superbement préparés par Gildas Pungier) de même que les six formidables danseurs (remarquables chorégraphies signées par Raphaël Cottin) complètent le tableau d’un spectacle qui s'avère être une éclatante réussite !

Emmanuel Andrieu

La Chauve-Souris de Johann Strauss à l’Opéra de Rennes – captée les 8, 10 et 12 mai 2021 en vue d’une diffusion sur France Musique le 5 juin à 20h, puis lors de l’événement Opéra sur écran(s) le 9 juin 2021 à 20h dans différentes communes de la Région, et à 20h30 sur les médias partenaires.

Crédit photographique © Laurent Guizard
 

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