Attendue de longue date, la réouverture des lieux culturels se met petit à petit en place, à Toulouse comme dans le reste du pays. Dans la ville rose, le Théâtre du Capitole et son directeur piétinaient d'impatience depuis plusieurs mois, ce après un début de saison lyrique en septembre très rapidement écourtée par la crise sanitaire. Ce 23 mai, l'opéra reprenait avec l’œuvre phare de Verdi, La Force du destin, non sans quelques aménagements. En effet, comme l'explique le directeur Christophe Ghristi en incipit, la limitation des déplacements sur scène impose de fait une version concert de l'opéra, du fait de ses nombreux chœurs et scènes de foule. L'enjeu étant de parvenir à renouer avec le public malgré les entraves, l'opéra est donné pour les dates en semaine dans un format abrégé d'1h45 afin que chacun puisse retourner à ses pénates en temps et en heure. En version intégrale, cette première était dédiée à la mémoire de Nicolas Joel, ancien directeur du Théâtre du Capitole de 1990 à 2009, décédé en juin 2020.

Loading image...
La Force du destin au Théâtre du Capitole
© David Herrero

Sous la direction de Paolo Arrivabeni, l'Orchestre National du Capitole lance les premiers coups de semonce du destin avec clarté et application. Le mélange des timbres lors de l'ouverture et des passages instrumentaux est parfaitement synchrone et délicieux. L'orchestre sera toujours au service de la voix cet après-midi. De même, le Chœur du Capitole, tour à tour en arrière-plan sur scène, en coulisse ou disséminé dans les balcons, dont les membres chanteront avec masques et d'autres non, est toujours impeccablement intelligible et flexible. Des chœurs virils de soldats ou de soiffards aux chœurs pieux et religieux de certains actes, toutes les nuances sont illustrées à merveille. Le rendu sonore général est d'une exceptionnelle qualité.

Loading image...
Catherine Hunold (Leonora) et Amadi Lagha (Don Alvaro)
© David Herrero

Pour ses débuts verdiens au Capitole, Catherine Hunold est parfaite dans son rôle de Donna Leonora, illuminant la salle avec une palette vocale extrêmement riche, du murmure étouffé de l'acte I aux élans religieux et amoureux des actes suivants. Son pendant Amadi Lagha (Don Alvaro) expose quant à lui une puissance vocale particulièrement spectaculaire qui vient défier le destin avec un timbre clair et un vibrato très marqué et expressif. Le ténor restera en effet forte presque toute la représentation, atteignant des fortississimos impressionnants lors des moments les plus intenses. Dans un ambitus évidemment différent, Gezim Myshketa (Don Carlo de Vargas) reste plus raisonnable mais tout aussi dynamique. Les trois artistes parviennent à figurer l'action par leurs seules voix : l'accumulation de tension dans le duo-duel final entre Alvaro et Carlo est par exemple si intense qu'il n'est pas nécessaire de la voir figurée ! L'éloquence verdienne, très bien servie ici par les trois chanteurs, semble se suffire à elle-même.

Loading image...
Roberto Scandiuzzi (Padre Guardiano, Marquis de Calatrava) et Gezim Myshketa (Don Carlo)
© David Herrero

Bien moins présent dans la partition mais exceptionnel d'un point de vue scénique et vocal, Roberto Scandiuzzi (Le Marquis de Calatrava / Padre Guardiano) représente à merveille la double malédiction et le caractère implacable du destin. Ancrée sur scène comme un roc inébranlable, sa voix de basse reçoit les saluts mérités du public à plusieurs reprises. Le chanteur allie en outre solidité et mobilité : évoluant sur le plateau libre de toute partition, il participe à lui seul au dynamisme de la représentation, bien aidé par Raehann Bryce-Davis (Preziosilla) et Sergio Vitale (Fra Melitone) dans la mise en place de gestes comiques comme tragiques. Plus anecdotiques dans le livret mais tout aussi puissants et impeccables vocalement, Cécile Galois (Curra) et Barnaby Rea (Alcade, Chirurgo) ne déméritent pas. Seul Roberto Covatta (Trabuco) semble plus en retrait en termes d'audibilité et ce malgré l'ajustement réactif de l'orchestre.

Loading image...
Gezim Myshketa (Don Carlo) et Raehann Bryce-Davis (Preziosilla)
© David Herrero

Si la musique, souvent agitée ou dansante au fil de l'action, vient contraster avec l'aspect statique de la version concert, bien des artistes, du chœur comme du plateau principal ajoutent leur touche personnelle qui viennent nuancer ce phénomène. Les quelques rares changements de tenues offrent aussi un semblant de mise en scène : le costume coloré de Raehann Bryce-Davis rappelle son statut de bohémienne diseuse de bonne aventure alors que le changement de tenue de Catherine Hunold (d'une robe rouge à une robe étincelante) montre l'évolution psychologique de Leonora (de la passion vers la lumière de Dieu). Ceci contraste d'autant plus avec la sobriété du reste des chanteurs et du chœur, en noir avec masques noirs. Une reprise en somme encourageante, qui, par paliers, devrait permettre à l'opéra de sonner à nouveau dans la ville rose.

****1