L’Homme de la Mancha : l’ombre de Jacques Brel plane sur le Châtelet

- Publié le 31 mai 2021 à 11:20
La comédie musicale où triompha l'auteur des Flamandes est reprise pour quelques soirs au Châtelet, dans un spectacle déroutant de Michael De Cock et Junior Mthombeni.
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Pour le public français (et belge) L’Homme de la Mancha évoque aussitôt le souvenir de Jacques Brel, qui incarna quelque cent cinquante fois le chevalier à la triste figure à la Monnaie de Bruxelles et au Théâtre des Champs-Elysées, dans le musical de Dale Wasserman et Mitch Leigh – respectivement auteurs du livret et de la partition. Incarcéré dans les geôles de l’Inquisition, Cervantes est amené à jouer l’histoire de Don Quichotte devant ses codétenus, afin de leur exposer sa quête d’absolu, son « inaccessible étoile ». Créée en Belgique, la production que reprend aujourd’hui le Châtelet se veut justement un hommage à l’auteur des Flamandes, qui ne pouvait que faire sien l’idéalisme désespéré du protagoniste. C’est sa propre adaptation française qui a été retenue, mais passablement réécrite et actualisée, de façon parfois contestable – que viennent faire Jean-Claude Van Damme et Jean Castex dans les propos de Cervantes ? Celui-ci est incarné par Filip Jordens, artiste connu justement pour ses interprétations de Brel, avec qui il entretient un mimétisme physique troublant, silhouette filiforme et émaciée, doublé d’une belle vivacité dans le jeu d’acteur et d’une aisance vocale indéniable – bien qu’il n’ait pas tout à fait la puissance du grave de son illustre modèle.

Festival de bon sentiments

Le spectacle de Michael De Cock et Junior Mthombeni joue la carte de l’actualisation, avec pour seul décor une palissade de tôle ondulée, qui court sur toute la largeur du fond de scène. L’orchestre a pris place côté cour, surplombé par un grand écran sur lequel défilent de nombreuses vidéos. Celles-ci montrent des citations de Cervantes, les errances du Cervantes dans les quartiers modernes de Bruxelles ou en Espagne, mais aussi de courts films où les comédiens et les différents artisans de la mise en scène décrivent leur « impossible rêve », en référence au song le plus célèbre de l’ouvrage – The Impossible Dream, dans la version originale américaine. Ce qui nous vaut un festival de bon sentiments (fraternité, paix sur la terre, préservation de la planète…) et accentue le caractère passablement bavard de l’ensemble. L’intervention d’un double âgé (également capitaine de l’Inquisition) de Cervantes/Don Quichotte ne simplifie pas la narration.

Diversité des accents

Le reste de la distribution maîtrise les codes de ce genre hybride, que ce soit la Dulcinea au soprano opulent d’Ana Naqe, le Sancho de Junior Akwety, bon comédien. On a aussi fait appel à la chanteuse de slam Nadine Baboye, qui interpole un numéro de son cru dont la nécessité se discute. Puisque c’est la version française qui a été retenue, la présence de plusieurs artistes étrangers interroge, la diversité des accents ne facilitant guère la fluidité de dialogues particulièrement développés. On n’en apprécie que davantage les intervention de Pierre Derhet (le Padre, le Barbier), Bertrand Duby (L’Aubergiste), Christophe Herrada (Carrasco), parfaitement idiomatiques.

Ce spectacle déroutant, d’un baroque pas vraiment abouti, permet au moins d’entendre une partition des plus plaisantes, défendue par un ensemble instrumental d’une dizaine de musiciens, excellemment dirigé par Bassem Akiki.

L’Homme de la Mancha de Leigh et Wasserman. Paris, théâtre du Châtelet, le 29 mai. Prochaines représentations : les 5 et 6 juin.

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