Journal

Così fan tutte sous la direction de Christophe Rousset à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège (Streaming) – L’école, c’est sérieux – Compte-rendu

Dans la deuxième quinzaine de mai, l’Opéra royal de Wallonie aurait dû proposer cinq représentations de Così fan tutte, dans une mise en scène de Jean Liermier créée à Lausanne en 2018. Pour cause de pandémie, le public liégeois a été privé de cette production qui transpose l’intrigue dans l’univers des reality shows. Il a néanmoins été décider de garder une trace du travail accompli par les chanteurs et par l’orchestre, sous la forme d’une version de concert captée à huis clos et accessible en streaming jusqu'au 15 juin.
 

Leon Košavić (Guglielmo) & Lionel Lhôte (Don Alfonso) © Opéra Royal de Wallonie
 
Naturellement, une grande partie de l’intérêt se porte sur le chef, Christophe Rousset (photo) dirigeant ici l’Orchestre et le Chœur de l’Opéra de Liège. Avec ses Talens Lyriques, ses incursions mozartiennes ont surtout été consacrées à l’opera seria et à l’oratorio : Mitridate dès 1999 ou, plus récemment La Betulia liberata. De fait, cette Ecole des amants à laquelle il s’attaque à présent est traitée avec beaucoup de sérieux : même s’il y a longtemps que Così n’est plut considéré comme une bouffonnerie, la comédie passe ici à l’arrière-plan. Les premiers accords de l’ouverture ne dépareraient pas dans La Création de Haydn, les cuivres ont un côté martial digne d’une tragédie, et les chœurs semblent sortis de La Clémence de Titus. Si Christophe Rousset ne revient pas à « Rivolgete a lui lo sguardo », il conserve tous les numéros musicaux de la partition mais, curieusement, il coupe tout le premier récitatif de Despina (pratique déjà adoptée par Louis Langrée à Aix-en-Provence en 2016). Chef, le claveciniste français l’est exclusivement, les récitatifs étant confiés à Sylvain Bousquet au pianoforte.
Contrairement à la Traviata liégeoise présentée en streaming en avril, pas de mise en espace cette fois. Chacun reste à sa place, derrière son pupitre ou la partition à la main. Pas de travestissement pour les « Albanais », mais Despina se coiffe d’un bonnet blanc d’infirmier, puis d’une redingote noire de notaire. Les personnages sont néanmoins présents à travers le jeu des chanteurs, certains pouvant paraître un peu plus investis que d’autres.

Sophie Karthäuser (Despina) © Opéra Royal de Wallonie
 
Deux Belges parmi les six voix réunies. De Pamina ou de la comtesse Almaviva, Sophie Karthäuser consent pour l’occasion à passer à Despina, rôle auquel elle prête une ironie volontiers nasillarde, tout en portant une attention particulière au texte, prenant pour ses déguisements un accent français, puis allemand. Lionel Lhôte a l’expérience de Don Alfonso sans en avoir passé l’âge, il chante vraiment un rôle que d’autres se contentent de parler, et son timbre se distingue bien de celui de l’autre baryton de la distribution.
 

Cyrille Dubois (Ferrando) © Opéra Royal de Wallonie

Benjamin de la troupe, vu en Figaro de Rossini à l’Opéra du Rhin, Leon Košavić est un Guglielmo à la voix de velours, moins extraverti que ce n’est souvent le cas mais avec un soupçon bienvenu de noirceur dans le timbre. A ses côtés, Cyrille Dubois est un vibrant Ferrando, très investi dans son jeu, maître de la virtuosité (quand le réentendra-t-on dans Rossini ?) et offrant de superbes nuances dans « Un’aura amorosa ».
Quant aux deux sœurs, Lucia Cirillo n’est heureusement pas une mezzo poitrinante mais plus un soprano 2 ; son visage expressif traduit bien le parcours de Dorabella, après un « Smanie implacabili » évidemment pris lui aussi très au sérieux. Reste le cas de María Rey-Joly : sa Fiordiligi a certes du tempérament, mais il faut parfois en payer le prix. On imagine volontiers que son aisance dans le grave et le dramatisme de son chant doivent lui permettre d’être une Reine de la Nuit impressionnante, mais les vocalises pourraient être plus précises, le vibrato dans l’aigu forte serait mieux accepté dans le répertoire romantique, et les notes sonnent souvent un peu basses, sans parler de ce qui ressemble fort à un accident dans « Per pietà ».
 
Laurent Bury

Mozart : Così fan tutte – Liège, Opéra Royal de Wallonie ; disponible en streaming jusqu’au 15 juin 2021 : www.operaliege.be/
 
Photo © Opéra Royal de Wallonie

Partager par emailImprimer

Derniers articles