Après de longs mois de fermeture, l'Opéra de Saint-Étienne accueille à nouveau son public pour un spectacle lyrique, Otello de Giuseppe Verdi dans la production de l'ancien directeur de l'Opéra Royal de Wallonie, Stefano Mazzonis di Pralafera, décédé en février dernier. Repris sur la scène stéphanoise par les soins de Gianni Santucci, le spectacle est d'une esthétique globalement classique, qui n'exclut pas toutefois certaines originalités. C'est par exemple la présence d'un aquarium en avant-scène à cour, avec la maquette d'un navire flottant à la surface de l'eau. Pendant la tempête initiale, avec la pluie qui tombe à grosses gouttes sur le plateau, Iago saisit le bateau et le fait voguer dans les airs de plus en plus vite. Plus tard, des enfants y versent de l'eau et quelques poissons rouges, avant de tenter de les repêcher avec de petites cannes, comme à la kermesse.

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Otello à l'Opéra de Saint-Étienne
© Louis Perrin

La scénographie de Carlo Sala s'organise à l'intérieur d'une ossature métallique en forme de chapiteau, autour de quelques colonnes vénitiennes. On installe des palmiers, orangers et feuillages au deuxième acte pour évoquer la végétation chypriote, et à partir du troisième des voilages sont déroulée pour situer l'action dans une ambiance intérieure : du rouge avec le lion vénitien puis le blanc à l'acte IV pour la chambre de Desdemona. Un procédé récurrent est utilisé pour les entrées et sorties du plateau d'Otello, Desdemona et Cassio, poussés sur un petit plateau monté sur roulettes. Protagonistes peut-être manipulés comme des pions dans le jeu de l'omniprésent Iago, les sorties à vide de ce plateau peuvent évoquer à la longue un chariot de supermarché qu'on pousse dans les allées...

Même avec un public particulièrement enthousiaste, accueilli au deux tiers de la jauge maximale de la salle, la page de la pandémie n'est pas encore tournée. Le Chœur Lyrique Saint-Étienne Loire, préparé par Laurent Touche et qui assure cohérence et belle qualité de chant, porte encore le masque, tandis que l'effectif orchestral en fosse est réduit à une quarantaine de musiciens, alors que l'orchestration prévue par Verdi en demande presque le double. Cet arrangement de la partition réalisé par Aldo Salvagno ne souffre curieusement pas de déficit d'ampleur dans les passages les plus démonstratifs, comme l'entame, le chœur « Fuoco di gioia », ou encore les grands ensembles de l'acte III. La direction musicale de Giuseppe Grazioli paraît en revanche manquer d'un peu d'épaisseur dans certaines séquences de transition, et met parfois en difficulté certains instrumentistes à découvert, comme le pupitre de contrebasses dans l'enchaînement immédiatement après la prière de Desdemona du dernier acte.

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Nikolai Schukoff (Otello) et Gabrielle Philiponet (Desdemona)
© Louis Perrin

Pour une première dans le rôle-titre, Nikolai Schukoff compose un Otello crédible, dès son « Esultate ! » aux aigus vainqueurs, puis dans un « Abbasso le spade ! » plein d'autorité. Visuellement, sans maquillage maure sur le visage, le ténor autrichien peut évoquer l'image de Mario del Monaco, portant un anneau à l'oreille. Plus tard, certains aigus dégageront un peu moins de brillant, mais le registre grave dévoile une rare richesse, qui fait merveille dans le « Niun mi tema » conclusif.

Parmi les trois personnages principaux, c'est la Desdemona de Gabrielle Philiponet qui nous impressionne le plus, un rôle qui semble coller idéalement à ses moyens actuels. Le timbre séduit sur toute la tessiture, d'un grave bien exprimé jusqu'aux aigus sereins, variant les nuances avec goût. Avec une musicalité impeccable, la « Chanson du saule » (acte IV) constitue logiquement un sommet d'émotion, et plus encore l'« Ave Maria » qui suit, nous faisant entendre une interprète en état de grâce.

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André Heyboer (Iago)
© Louis Perrin

André Heyboer chante magnifiquement Iago, un être froid et souvent distant dans le regard, économe en décibels par moments, déroulant son « Credo » d'une couleur plus noble que naturellement noire. Le baryton convainc pleinement du point de vue vocal dans le rêve de Cassio avec un tissu orchestral réduit, faisant preuve d'un cynisme insidieux bien à propos.

La mise en scène accorde autant d'importance aux trois protagonistes, en faisant mourir Iago en scène tué par Cassio, les trois gisant au sol en image finale. Les rôles secondaires sont correctement défendus, un instrument qui sonne cependant un peu engorgé pour Sébastien Droy (Cassio), alors que Marie Gautrot (Emilia) semble plus épanouie et sonore.

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