Richard Brunel, qui prendra officiellement ses fonctions à la tête de l’Opéra de Lyon en septembre 2021, termine à l’Opéra national de Lorraine sa mise en scène de la trilogie populaire de Verdi initiée par Il Trovatore à Lille en 2016, avant La Traviata à Klagenfurt en 2017 : ici, Rigoletto se trouve transposé dans l’univers d'une compagnie de danse.

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Rigoletto à l'Opéra national de Lorraine
© Jean-Louis Fernandez

Cette idée centrale se manifeste dès le début, avant même le lever de rideau. Agnès Letestu, étoile de l’Opéra de Paris, effectue quelques pas amplifiés par son ombre projetée sur le rideau. Elle sera présente presque tout le long de l’opéra, interprétant le rôle de la femme de Rigoletto, et mère de Gilda. Si elle est à peine mentionnée dans le livret, sa présence sert efficacement de fil conducteur à la narration. Vêtue d’une robe blanche, qui vient contraster avec l’habit noir de Rigoletto, elle rôde telle une âme fantomatique à qui son mari et sa fille se confient. La chorégraphie et les mouvements du personnage muet suivent le déroulement de l’action, tantôt déchaînés quand l’orage gronde, tantôt minimalistes quand elle écoute, discrète, les complots contre son mari se fomenter.

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Rigoletto à l'Opéra national de Lorraine
© Jean-Louis Fernandez

Les décors modernes donnent une actualité nouvelle au livret, les jeux de pouvoir et de convoitise entre les personnages se prêtent particulièrement bien au fonctionnement d'une compagnie de danse, mais certains aspects de la mise en scène brouillent la perception du spectateur. Avec son cadre original (les coulisses d'un théâtre), ses nombreux personnages qui traversent le plateau en tous sens, la musique qui alterne entre l'orchestre en fosse et un enregistrement qui simule les échos de la salle, le début du premier acte paraît un peu flou et bousculé. Les lumières de Laurent Castaingt sont en revanche particulièrement bien dosées, venant entrer en résonance avec les besoins dramaturgiques, comme lors de l'acte III avec son ambiance glaçante de néons d’hôpital.

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Rigoletto à l'Opéra national de Lorraine
© Jean-Louis Fernandez

Mais la grande réussite de cette production se situe bel et bien du côté du plateau vocal et instrumental, à commencer par Rocío Pérez (Gilda) qui bouleverse plus d’une fois l’auditoire. La soprano espagnole jouit d’une présence scénique aussi bluffante que sa voix sûre, droite, souple, d’une formidable justesse expressive (contrôle parfait des nuances et des ralentis). Le ténor Alexey Tatarintsev (Duc de Mantoue) paraît dès lors plus pâle vocalement, sa projection paraissant parfois un peu trop forcée, en dépit d’une maîtrise dramaturgique absolue. Juan Jesús Rodriguez donne quant à lui au rôle-titre une touchante faiblesse : marchant avec une canne, il offre un personnage plus tendre que colérique. Les silences qu’il fait durer au moment où il implore « pitié » aux ravisseurs de sa fille (acte II) sont particulièrement touchants. À souligner enfin la puissance et la stature imposante de la basse Önay Köse qui chante un Sparafucile terrifiant.

L’Orchestre de l’Opéra national de Lorraine et son chef sont aussi à la fête. Alexander Joel dirige d’une main de fer les musiciens (en fosse et sur le plateau), se montre attentif aux moindres détails et n’hésite pas à préciser ses tempos quand tel ou tel chanteur pourrait prendre un peu trop de liberté. Cela peut paraître contraignant mais cela s'avère surtout très efficace, puisque la mise en place est parfaite de bout en bout : musiciens d’orchestre et chanteurs semblent s’entendre à merveille, contribuant ainsi à une production riche et dansante !

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