La foule se presse sur la longue place Broglie à Strasbourg. L’Opéra du Rhin clôture sa saison lyrique avec une production sobre et tout en retenue de Madama Butterfly de Puccini, donnée à Strasbourg puis à Mulhouse. Si le dépouillement de la mise en scène et les choix dramaturgiques de Mariano Pensotti émeuvent le public, la distribution laissera en revanche un avis plus mitigé.

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Madama Butterfly à l'Opéra du Rhin
© Klara Beck

L’opéra s’ouvre sur l’histoire (fictive) d’une metteuse en scène japonaise, Maiko Nakamura, racontée en surtitrage et qui interviendra tout le long de l’opéra. Nakamura s’installe en France et construit sa réputation sur ses mises en scène folkloriques de Madama Butterfly. En crise d’identité, elle porte un autre regard sur l’œuvre et sa signification : pour elle, plus qu’une histoire d’amour, l’œuvre est une réflexion sur l’altérité et les rapports humains. Elle montre avant tout comment les rapports de domination sous-tendus par la colonisation (Occident-Orient) et le genre (homme-femme) sont justifiés par l’essentialisation du camp inverse. Pensotti utilise cette mise en abyme dramaturgique afin de guider le spectateur dans ses choix de mise en scène.

Ceux-ci paraissent relativement simples, s’appuyant sur des décors et des costumes élégants tout en noir et blanc. L‘élément central (un carré sur lequel repose une armature en triangle) alterne tout le long de la représentation entre cour et jardin. Évoquant le déracinement du personnage éponyme hors de son Japon natal, un arbre suspendu en hauteur et sa souche laissée sur le devant de la scène viennent compléter le dispositif épuré. Les éléments sont donc limités mais le symbolisme attaché à chacun est efficace et clarifie le discours, aidé par une grande sobriété dans le déplacement des chanteurs et des éclairages tamisés. Fait marquant, la mise en scène devient de plus en plus dépouillée au fil de l’intrigue, pour ne se retrouver à la fin de l’acte III qu’avec un carré central et un triangle noir venant descendre progressivement sur scène, se rapprochant inexorablement du sol telle la mort à mesure que le suicide de Butterfly se dessine. Seul bémol, il s’avère alors que l’histoire de Nakamura, parsemée sur les trois actes, vient parfois inutilement alourdir un dispositif certes simple mais extrêmement clair, qui ne nécessite pas d’explication textuelle complémentaire.

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Madama Butterfly à l'Opéra du Rhin
© Klara Beck

Si la mise en scène convainc, la distribution vocale tend à décevoir, en particulier du côté des rôles principaux, à commencer par Leonardo Capalbo (Pinkerton). Le ténor surjoue d’entrée de jeu son personnage : il se perd alors dans un vibrato trop envahissant et n’arrive pas à ouvrir sa voix, en particulier dans le registre médium. C’est d’autant plus dommage qu’il paraît ainsi affaibli face à Tassis Christoyannis, ici puissant Sharpless, et à l’excellent Loïc Félix qui campe un Goro charnu, d’une solide aisance scénique. On retrouve le même déséquilibre côté féminin. Si Brigitta Kele incarne le rôle-titre avec beaucoup d’humilité, sans démonstration de force, elle semble parfois en difficulté dans les aigus, et ne paraît pas toujours à l'aise sur ce plateau austère. On est en revanche impressionné par Marie Karall (Suzuki), d’une pureté vocale et expressive particulièrement bienvenue.

L’Orchestre philharmonique de Strasbourg et le chef Giuliano Carella laissent également des regrets. Sans doute perturbé par la direction peu orthodoxe de l’Italien, l’orchestre, pourtant précis et équilibré, est souvent fade et peu enclin à donner du relief à la partie orchestrale de Puccini, pourtant capitale dans cette œuvre. Il faut dire que le chef néglige trop souvent la fosse au détriment du plateau, et opère d’étranges ralentis systématiques sur les derniers temps des mesures, ce qui gâche notamment le phrasé du sublime chœur bouche fermée de la fin de l’acte II. Dommage, car la vision moderne de Pensotti fait souffler un vent nouveau sur ce chef-d’œuvre puccinien.

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