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Tristan et Isolde selon Simon Stone au Festival au Festival d’Aix-en-Provence – Dernier métro à Paris – Compte-rendu

 
L’événement annoncé de l’édition 2021 du Festival d’Aix-en-Provence a été accueilli avec passion après quelque cinq heures passées dans l’enceinte du Grand Théâtre de Provence. Hourras passionnés pour les interprètes de l’œuvre, artistes lyriques et musiciens, bronca non moins passionnée pour l’équipe qui signe la scénographie de cette production. Un accueil, somme toute, logique.
 
Certes, la relation amoureuse élevée au rang de mythe que vivent Tristan et Isolde est intemporelle. Certes, la volonté de rendre accessible à une société moderne la teneur psychologique et philosophique, toujours d’actualité, contenue dans le conte médiéval  est louable. Mais fallait-il que Simon Stone aille crescendo dans une certaine perturbation intellectuelle subie par le spectateur du fait de l’installation de l’action dans des décors saugrenus ?
 
© Jean-Louis Fernandez

Passe pour l’appartement du premier acte aux larges baies vitrées qui devient navire après l’orage. Passe, à la limite, pour l’open space du deuxième acte, un environnement qui peut être occulté par l’immense moment lyrique et musical qu’est la nuit d’amour des deux héros. Mais, au troisième acte, placer l’agonie de Tristan dans un wagon de la ligne 11 du métro parisien, entre Rambuteau et Châtelet, Goncourt et Hôtel de Ville, là, ça ne passe plus !
Il est vrai que cette rame circule entre monde réel et univers fantasmé, que les protagonistes peuvent avoir un côté ectoplasmique au milieu des voyageurs qui se rendent à Belleville ; mais les entrées et sorties incessantes, la projection des décors en arrière plan (techniquement parfaite, au demeurant, comme les autres projections de la production signées Luke Halls) perturbent grandement la portée philosophique des propos de Tristan mourant et annihilent totalement le concept de mort d’amour véhiculé par Isolde au terme de l’œuvre. Concept qui, au demeurant, n’a ici pas trop de raisons d’être puisque le préambule du premier acte est marqué par l’infidélité d’un mari (Tristan) et que l’ultime image est celle de sa femme (Isolde) qui sort du métro au bras d’un jeune homme (Melot)… La boucle est bouclée. Des choix qui n’ont pas eu l’heur de séduire le public ; on peut le comprendre. C’était le revers de la médaille …
 

© Jean-Louis Fernandez
 
L’avers, lui, a suscité enthousiasme et bravi. Quel bonheur de retrouver Sir Simon Rattle et le London Symphony Orchestra. Pour ce Tristan et Isolde, la direction du chef anglais est, comme souvent, proche de la perfection. Tempi et puissance maîtrisés, il sert la partition comme un peintre sa toile. Parfois au couteau, parfois au fin pinceau, arrivant à insuffler âme et spiritualité, passion et fureur à une musique qui ne souffre pas l’à peu près et mérite le meilleur. Elle l’obtient ici avec un orchestre redoutable de précision, cuivres somptueux, bois chauds et passionnés, cordes magiques. Ovation debout pour les britanniques à l’issue de chaque acte… Un immense moment !

 

© Jean-Louis Fernandez

Même accueil bouillant pour une distribution emmenée par l’immense Isolde de la soprano suédoise Nina Stemme. Un jeu scénique maîtrisé et d’une élégance raffinée lui permet d’exprimer son chant avec une puissance dominée, des aigus somptueux et un médium de grande souplesse ; une immense Isolde. A ses côtés, Stuart Skelton est un Tristan idéal. Sa stature ne nuit en rien à son jeu et à l’émotion qu’il suscite tout au long de l’œuvre. Sa ligne de chant, franche et puissante sans excès lui permet de faire vivre les sentiments. Quel bon choix pour former ce couple mythique ! De la puissance et un  investissement scénique des plus intéressants, aussi, chez Jamie Barton qui incarne une Brangäne émouvante d’attention et d’amour pour sa maîtresse Isolde. Des sentiments qui sont aussi ceux de Kurwenal, incarné avec humanité par Josef Wagner, pour Tristan.

Franz-Josef Selig est un roi Marke qui se situe naturellement, de par sa fonction, mais aussi sa sagesse, à un étage supérieur. Grande basse, profonde et sensible, son air du pardon au troisième acte se perd un peu dans le métro. Dommage. Dominic Sedgwick (Melot) Linard Vrielink (le berger) et Ivan Thirion (un matelot) ont aussi été gratifiés d’applaudissements mérités.
Cette production de Tristan et Isolde, annoncée, donc, comme un événement, a tenu ses promesses. Elle a déchaîné les passions et c’est tant mieux.
 
Michel Egéa

Wagner : Tristan et Isolde – Festival d’Aix-en-Provence,  Grand Théâtre de Provence, 2 juillet ; prochaines représentations les 5, 8, 11 & 15 juillet 2021 (18 heures). En direct sur France Musique et Arte concert le 8 juillet (18 heures) // festival-aix.com
 
 
Photo © Jean-Louis Fernandez
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