Journal

I due Foscari en version concert au Festival d’Aix-en-Provence – Une légende pour Verdi – Compte-rendu

Le bruit court dans les couloirs du Festival d’Aix-en-Provence que, chaque année, Pierre Audi, son directeur, pourrait programmer un opéra en version concert pour mettre en avant une voix exceptionnelle. Si la rumeur s’avère exacte et que le niveau des œuvres données est égal, voire supérieur à la version des Deux Foscari offerte au Grand Théâtre de Provence avec le presque octogénaire Leo Nucci dans le rôle du doge, quelques nuits festivalières aixoises sont encore emplies de belle promesses.
 

Marina Rebeka, Leo Nucci & Daniele Rustioni © Vincent Beaume
 
L’air que l’on respire à Castiglione dei Pepoli, où est né Leo Nucci en avril 1942, doit être chargé en vitamines pour la voix. Mais une chose est certaine, celui de la Provence sied parfaitement au baryton italien. Elevé au rang de légende entre les murs de l’Opéra de Marseille dont il signe quelques unes des plus belles heures, ses dernières interprétations de Rigoletto, au pied d’un autre mur plus monumental, celui d’Orange, sont encore dans toutes les mémoires… Notamment celles avec Patrizia Ciofi (en 2011) et Nadine Sierra (en 2017) qui furent « ses » Gilda, obligées de « bisser », voire « trisser » à ses côtés le « Si, vendetta » dont il s’est fait une spécialité.
En ce vendredi 16 juillet 2021, la légende Nucci, tout au moins celle qui s’écrit dans le sud de la France, s’est étoffée d’un nouveau chapitre avec I due Foscari (1844), opéra méconnu de Verdi élaboré durant les « années de galère » du compositeur. Une œuvre que l’on pourrait croire taillée sur mesure pour cet artiste qui a l’âge du rôle du vieux doge et qui en a aussi… la voix.
 
Ce qui est étonnant chez Nucci c’est que l’on ne sait jamais s’il est fatigué ou s’il feint de l’être. La deuxième hypothèse est certainement la bonne, car même en frac et nœud papillon, il est en perpétuelle représentation. Il entre, bras croisés, en proie à ce choix terrible d’être le doge inflexible ou le père aimant. Pendant toute la représentation, il nous fera vivre les affres de cette dualité avec une justesse qui trouvera son point d’orgue dans un émouvant « rendez-moi mon fils » à tirer les frissons et les larmes. Leo Nucci interprète ici un rôle taillé sur mesure où l’émotion se substitue à l’explosion vocale. Mais son registre excelle ; les graves sont profonds, les nuances travaillées, la diction idéale… Du grand art, une leçon de chant et un moment unique vécu par un public qui pourra dire « j’y étais ! ».
Au-delà de cette interprétation, le baryton fait figure de meneur de troupe. La distribution semble tout entière tournée vers lui et à son écoute. C’est lui qui guide son monde au moment des saluts, lui qui partage les ovations avec sourire et sincérité. Il félicite les musiciens, prend la main du maestro Rustioni, regarde tendrement, comme un père sa fille, Marina Rebeka au moment du triomphe final. Bref, c’est le show Leo, devant une salle debout, conquise, époustouflée …
 

Trionfo ! © Michel Egéa

Le seul être qui aurait pu manquer pour tout dépeupler était donc là ! Il restait à l’entourer de la meilleure des façons, ce qui a été fait. De la puissance, une ligne de chant exceptionnelle, des aigus maîtrisés : Francesco Meli n’a pas failli au moment d’incarner Jacopo, le fils Foscari. A ses côtés, Marina Rebeka a donné à Lucrezia Contarini une grande force émotionnelle, alternant révolte et tendresse avec une grande présence. Quelques secondes un peu hésitantes au départ pour prendre ses marques puis sa voix, aux nuances légèrement métalliques, précise et puissante, a envoûté la salle.
Grande et belle voix, aussi, que celle de Jean Teitgen qui chantait Loredano. Une superbe basse puissante et profonde, qui sait travailler dans les aigus et qui a su apporter à son rôle une dimension cynique parfaite. Quant à Valentin Thill (Barbarigo) et Adèle Charvet (Pisana) ils furent d’excellents comprimari, le premier faisant valoir ses beaux aigus, notamment dans son premier duo avec Loredano.
 
Pour que tout cela fonctionne, Daniele Rustioni, directeur musical hors pair, tenait les rênes. A la tête de son Orchestre de l’Opéra de Lyon, il a livré une lecture chatoyante et nuancée d’une partition où l’on peut découvrir toutes les facettes de l’art de son auteur, depuis les grands élans patriotiques jusqu’aux airs d’amour en passant par les ensembles, les barcaroles, les accents dramatiques … Un véritable condensé du romantisme à la Verdi parfaitement dirigé et restitué avec passion, couleurs et précision par une phalange qui fait partie des meilleures du moment. Excellents, aussi, les chœurs de la même maison lyonnaise préparés par Roberto Balistreri. Un moment unique qu’il fallait vivre.
 
Michel Egéa

Verdi : I due Foscari (version de concert) - Festival d’Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence,  16 juillet 2021
 
Photos ©  Vincent Beaume

Partager par emailImprimer

Derniers articles