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Le storytelling de Denis & Katya sur la scène de Montpellier

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Montpellier. 26-VII-2021. Philip Venables (né en 1979) : Denis & Katya, opéra en un acte et 112 scènes, livret et mise en scène de Ted Huffman, traduction en français d’Arthur Lavandier et Alphonse Cenin. Co-créatrice et dramaturge : Ksenia Ravvina. Costumes : Millie Hiibel. Décors et Lumières : Andrew Lieberman. Vidéos : Pierre Martin. Sound deisgn : Robert Klapowitz, Max Hunter, Simon Hendry. Avec : Chloé Briot, soprano ; Elliot Madore, baryton. Cyrille Tricoire, Yannick Callier, Camille Supéra, Sophie Gonzalez del Camino, violoncelles

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Après 4.48 Psychosis entendu à l'Opéra du Rhin en 2019, Denis & Katya, le deuxième ouvrage lyrique du britannique tient toutes ses promesses, scellant une nouvelle collaboration avec le metteur en scène et ami qui achève sa résidence à l'opéra de Montpellier.

Créé à l'Opéra de Philadelphie en 2019, Denis & Katya a obtenu la même année le Prix Fedora qui récompense les productions européennes les plus innovantes. L'opéra de chambre est donné en création européenne et en français (traduction d'Arthur Lavandier et d'Alphonse Cemin) sur la scène de la Comédie à Montpellier, dans le cadre du .

Pour son livret, s'est appuyé sur l'histoire de ces deux adolescents russes âgés de 15 ans, Katya Viasova et Denis Muravyov retrouvés morts le 14 novembre 2016. Ils avaient fugué de chez eux et s'étaient réfugiés dans une datcha à Strugi Krasnye où ils ont commencé à se filmer via l'application Periscope leur permettant de communiquer avec l'extérieur. Ils ont tenu durant trois jours, entre violence et résistance face à la police locale et au déploiement des forces spéciales, délai au terme duquel ils ont trouvé la mort, suicidés peut-être ou tombés sous la fusillade des forces armées : « la neige étouffe les coups de feu » lit-on dans le rapport officiel. « On peut imaginer tout ce qu'on veut », souligne la Journaliste, « on ne saura jamais ».

Comme pour 4.48 Psychosis, Venables et Huffman questionnent le genre de l'opéra et en bousculent les codes, à travers une narration non linéaire et la volonté de ne pas incarner les personnages sur scène. Le scénario est élaboré sur la base des témoignages, celui de la Journaliste qui est allée enquêter sur place, ceux des voisins, ami, ados, professeur, ambulancier dont les propos sont recueillis sur le modèle d'un documentaire télévisé. Il est question de débattre sur la violence, une des thématiques chères au compositeur, à travers le constat des proches et dans un rythme scénique qui se resserre et décuple le ressenti émotionnel.

Les moyens mis en œuvre dans cet opéra sans chef – le moniteur d'oreille fait office de repère temporel pour les interprètes – sont des plus économes : deux chanteurs sur le plateau qui endossent le rôle de six personnages et quatre violoncelles – ceux de l'Opéra national  Montpellier Occitanie – cernant l'espace scénique, des instruments proches de la voix qui vont contribuer, à travers leurs motifs récurrents, à l'identification de chacun des personnages. Il n'y a pas de décors à proprement parler mais un travail très fin sur les lumières (celles d'Andrew Lieberman) et la présence d'un grand écran où sont consignés les échanges par whatsApp entre le compositeur et le metteur en scène au sujet du scénario en train de s'écrire : autant de décrochements par rapport au fil de la narration qui créent de la distance voire un certain humour du fait de la stylisation rythmique des voix – une sorte de code morse électronique à deux fréquences – tandis que les mots s'affichent sur l'écran.

Car Philippe Venables est soucieux d'intelligibilité du texte qui, même chanté, restera toujours compréhensible grâce à la complémentarité vocale des deux interprètes. Lorsque la Journaliste – assise jambes croisées – se met à chanter, elle est aussitôt doublée par la voix parlée du baryton – – combinant de manière judicieuse temps du texte et de la musique ; lorsque celui-ci joue et chante l'Ami, soutenu par une formule ondoyante et répétitive des violoncelles, c'est qui en répercute les paroles, mais dans une temporalité autre. Les interventions du Professeur sollicitent les deux voix synchrones, dans un parlé-chanté proche du rap. À la faveur des doublures qui évitent les sur-titres, Venables fait chanter en russe certains de ses personnages, la Voisine, toujours surexcitée, et les Ados, assis sur une chaise et positionnés de profil avec le tremblement de la jambe extérieure et un langage cru que traduit . La conduite d'acteurs est remarquable, assurant la fluidité des transitions au fil des 112 courtes scènes ponctuées de trois interludes. Ce sont des moments de théâtre pur, sans musique, constituant les étapes d'un récit qui gagne en intensité… jusqu'au troisième où s'opère une rupture radicale dans l'opéra, laissant advenir la vidéo et un silence des plus éloquents avant le « lamento » final. Il est  chanté sur la ligne de basse des violoncelles, descendante et chromatique comme celle du « ground » de la tradition baroque anglaise auquel Venables reste très attaché.

La performance des deux interprètes est éblouissante, tant dans le jeu de rôles qu'ils ont à assumer que vocalement. Le soprano de Chloé Briot allie la beauté du timbre à la clarté de l'élocution. Le canadien est un baryton large et généreux, expressif lorsqu'il est dans la peau de l'Ami, plus rugueux et heurté pour les Ados. Vecteurs de couleurs et de tension, les quatre violoncelles – Cyrille Tricoire, Sophie Gonzalez del Camino, Yannick Callier et Camille Supera – se fondent dans la dramaturgie ; ils sont conducteurs et davantage expressifs dans le Lamento final qui tisse une écriture plus polyphonique.

Fruit d'un travail collaboratif comme le rappelle Venables dans sa note d'intention, Denis & Katya renouvelle l'expérience de 4.48 Psychosis où fusionnent dans une même unité dramaturgique le texte, les voix et la musique, croisant le théâtre et la dimension lyrique au bénéfice du sujet à défendre et du message politique à faire passer.

Crédit photographique : @ Marc Ginot

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Montpellier. 26-VII-2021. Philip Venables (né en 1979) : Denis & Katya, opéra en un acte et 112 scènes, livret et mise en scène de Ted Huffman, traduction en français d’Arthur Lavandier et Alphonse Cenin. Co-créatrice et dramaturge : Ksenia Ravvina. Costumes : Millie Hiibel. Décors et Lumières : Andrew Lieberman. Vidéos : Pierre Martin. Sound deisgn : Robert Klapowitz, Max Hunter, Simon Hendry. Avec : Chloé Briot, soprano ; Elliot Madore, baryton. Cyrille Tricoire, Yannick Callier, Camille Supéra, Sophie Gonzalez del Camino, violoncelles

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