A Salzbourg, « Intolleranza 1960 » de Luigi Nono peine à bousculer les festivaliers

- Publié le 30 août 2021 à 09:49
Bien que certaines de ses thématiques restent d'actualité, l'œuvre contestataire de Luigi Nono porte la marque de son temps. Elle offre un triomphe incontestable au chef Ingo Metzmacher et au ténor Sean Panikkar.
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Si c’est à La Fenice de Venise que fut créé, il y a tout juste soixante ans, Intolleranza 1960, Luigi Nono, qui rêvait d’un lieu plus atypique, n’aurait donc sans doute pas été déçu que sa créature s’épanouisse devant la falaise du Manège des rochers. Plutôt cantate scénique que véritable opéra, l’œuvre porte la marque de son époque. De la main du compositeur et essentiellement en italien, le livret charrie des slogans qui fleurent bon la contestation des années 1960 (« No Pasaran ! Morte al fascismo ! La sale guerre ! Nie Wieder ! »), tout en agrégeant des citations d’auteurs connus pour leurs engagements – Sartre, Brecht, Eluard, Maïakovski…

Cette matière dramatique ténue conte le périple d’un travailleur émigré vers sa terre natale. En chemin, il rencontrera le rejet, l’arbitraire politique, avant d’affronter les inondations diluviennes qui engloutissent son village – des thématiques qui, somme toute, à l’heure des crises migratoires et du dérèglement climatique, n’ont guère perdu leur actualité. C’est sur le plan musical surtout qu’Intolleranza 1960 montre les stigmates de son temps, avec son expressionnisme chauffé à blanc, ses dissonances sans concession, son écriture vocale dilacérée jusqu’au cri.

Orchestre pléthorique

De part et d’autre du vaste plateau, sont disposés une quinzaine de percussionnistes (ainsi que harpe, célesta, glockenspiel), qui offrent une réponse spatialisée aux quelque soixante-six cordes et vents du Philharmonique de Vienne installés dans la fosse. Ingo Metzmacher dirige d’une main de fer cet orchestre pléthorique, ainsi qu’un chœur d’élite (celui de l’Opéra de Vienne), auquel Nono a réservé la meilleure part de son inspiration, entre fracassants tutti et envolées diaphanes.

Bien que l’œuvre soit assez courte (guère plus d’une heure) elle semble gagnée par une certaine uniformité de ton et d’atmosphère, accentuée sans doute par le spectacle de Jan Lauwers. Le théâtre performatif de ce dernier, qui mêle danse, vidéo, expression corporelle, s’acclimate certes mieux à l’univers de Nono qu’à celui de Monteverdi (il s’essaya naguère, ici même et sans convaincre, au Couronnement de Poppée). Mais l’agitation permanente et passablement artificielle que fait régner sur scène une foule de figurants et de danseurs, l’absence de véritable rupture visuelle, ne contribuent pas à rythmer le propos. Lauwers a d’autre part le grand tort d’ajouter un personnage de son invention (le Poète aveugle), auquel il destine à mi-parcours un monologue à la rhétorique simpliste qui rompt la continuité musicale et dramatique. D’autres ajouts dans l’air du temps se révèlent autrement percutants, tel ce cri (« I can’t breath ! ») lancé par un manifestant qu’on torture.

D’une grâce physique qui n’appartient qu’à lui, se jouant des grands écarts de l’écriture vocale, bouleversant dans le registre élégiaque, le ténor Sean Panikkar prend toute la lumière en accomplissant le chemin de croix de l’Emigrant. Triomphe partagé avec les deux femmes qui croisent sa route, incarnées par la mezzo Anna Maria Chiuri et la soprano Sarah Maria Sun, dont les âpres coloratures caracolent jusque dans la stratosphère.

Intolleranza 1960 de Nono. Salzbourg, Manège des rochers, le 26 août.

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