Hans Abrahamsen (né en 1952)
La Reine des neiges (2019)
Livret de Hans Abrahamsen et Henrik Engelbrecht d’après le conte de Hans Christian Andersen, traduction en anglais d’Amanda Holden.
Créé le 13 octobre 2019 à l’Opéra royal du Danemark. Création française.

 

Direction musicale : Robert Houssart
Mise en scène et conception : James Bonas, Grégoire Pont
Vidéo et animations : Grégoire Pont

Scénographie et costumes : Thibault Vancraenenbroeck
Lumière : Christophe Chaupin
Direction des chœurs : Alessandro Zuppardo

 

Gerda : Lauren Snouffer
Kay : Rachael Wilson
La Grand-mère, la Vieille Dame, la Finnoise : Helena Rasker
La Reine des neiges, le Renne, l’Horloge : David Leigh
La Corneille de forêt : Michael Smallwood
La Corneille de château : Théophile Alexandre
La Princesse : Floriane Derthe
Le Prince : Moritz Kallenberg
Soprani solistes : Dilan Ayata, Emmanuelle Schuler

 

Chœur de l’Opéra national du Rhin
Orchestre philharmonique de Strasbourg

Strasbourg, Opéra National du Rhin, 19 septembre 2021, 15h

De la Reine des Neiges, le grand public connait désormais l'incontournable version Disney avec toute une gamme de chansons qui font le désespoir des parents. Aux antipodes de ce succès planétaire, l'opéra de Hans Abrahamsen renvoie à une dimension d'ascèse et de rigueur extrême dans la lecture du chef d'œuvre d'Andersen – au point d'avoir participé aux côté de Henrik Engelbrecht à la rédaction du livret. Ce premier opéra du compositeur danois a été donné en langue originale à Copenhague en 2019, puis en anglais à la Staatsoper de Munich  – version présentée cet automne à l'Opéra du Rhin de Strasbourg, dans le cadre du Festival Musica, sous la direction de Robert Houssart qui avait assuré la création danoise. La production est signée James Bonas et Grégoire Pont ; le duo renouvelle la réussite de L’Enfant et les sortilèges monté à l'Opéra de Lyon en 2019, avec des effets vidéos et graphiques qui inscrivent cette musique dans la poésie visuelle d'un conte pour (grands) enfants.

Lauren Snouffer (Gerda)

 

La Reine des neiges est l'un des contes les plus longs d'Andersen, un récit en forme de Bildungsroman qui se condense autour de l'histoire de Kay, un jeune garçon victime d'un miroir ensorcelé qui le blesse à l'œil et au cœur et le privant par là-même de toute gentillesse et de toute sensibilité. Son amie Gerda affrontera les épreuves pour le retrouver, en poussant sa quête, tout au Nord, jusqu'au château de la Reine des neiges. Au fil des rencontres et des périls, Gerda retrouvera son ami et tous deux achèveront ce rite initiatique qui les fait entrer dans l'âge adulte. Cette trame enfantine donne à Abrahamsen l'occasion de concentrer une étonnante palette de moyens techniques, dévoilant par la même occasion une écriture aux contours très personnels. Affilié au courant de la "nouvelle simplicité" à l'orée des années 1970, le compositeur danois travaille à partir de la notion de mélodie comme matériau principal – très proche en cela de son maître György Ligeti.

 

La Reine des neiges est construite sur des thèmes très brefs qui se répètent et se développent au fil des sept histoires qui constituent le fil narratif. Cette "simplicité" n'est pas comme chez les répétitifs américains, une apologie de l'appauvrissement et du stroboscopique comme unique mode expressif. Elle renvoie chez Abrahamsen à la richesse souterraine des timbres et des phrases, comme par exemple cette façon de peindre littéralement un paysage enneigé avec des flocons qui lentement s'accumulent en couche épaisse. Une puissante synesthésie sonore nait de ces éléments expressifs, signature d'un art très personnel où la musique fait sens avec le réel.

La production de James Bonas et Grégoire Pont offre à cet opéra un écrin scénographique d'une rigueur et d'une efficacité à toute épreuve, basée sur un astucieux dispositif scénique et des projections vidéos particulièrement travaillées. L'espace de la scène recouvre la fosse et permet donc aux chanteurs d'évoluer librement sur tout le proscénium, avec l'orchestre, disposé en arrière-scène, derrière un haut rideau sur lequel se projette tout un monde d'images et d'animations vidéos. L'allégorie et la poésie de l'hiver se décline en formules géométriques (gel, cristaux) et des couleurs froides qui émergent d'une nuit quasi continuelle, comme ces effets lumineux imitant sur le sol la glace qui se fissure. Les vidéos on le charme kitsch des films d'animation de Lotte Reiniger, avec ces personnages et ces décors découpés en noir sur un fond coloré. Et l'utilisation des câbles et filins permet des effets spectaculaires comme de faire voler Kay et la Reine des neiges au-dessus du plateau… Les costumes de Thibaut Vancraenenbroeck jouent la carte du décalage entre la réalité prosaïque et le monde onirique. La grand-mère et les enfants surjouant la subtile laideur du casual wear coloré, tandis que les personnages fantastiques sont dessinés avec les codes de la fable et de fiction : les corneilles croassant en jaquette noire et la Reine des neiges en étonnant dragqueen à la pilosité et à la tessiture masculine.

Le cast brille par la présence de la Gerda de Lauren Snouffer qui marche ici dans les pas de Barbara Hannigan, créatrice et inspiratrice du rôle. La voix est dense et parfaitement projetée, avec des aigus d'une solidité à toute épreuve et une présence en scène remarquable. Cette performance est le centre magnétique d'une soirée où l'élément vocal n'est pas toujours traité au plus haut niveau par la partition d'Abrahamsen. Le duo qu'elle forme avec Rachael Wilson qui incarne le personnage de Kay, peine à émerger d'un profil très conventionnel. La mezzo américaine est relativement peu présente sur la durée de l'œuvre mais suffisamment pour souligner une ligne rigoureuse et de belles couleurs. Successivement Grand-mère, Vieille Dame et Finnoise, la contralto Helena Rasker fait entendre une palette très contrastée, avec un vibrato et une expressivité de bon aloi. La Reine des neiges emprunte un curieux registre de basse avec un David Leigh qui se prête au jeu mais livrant une lecture à fleur de notes d'où le personnage peine à sortir. Michael Smallwood et Théophile Alexandre histrionnisent leurs Corneilles, dans un concours de syllabes grinçantes et rugueuses, aux antipodes des très doucereux Prince et Princesse de Moritz Kallenberg et Floriane Derthe. Particulièrement vigoureux et incarné, le chœur de l'Opéra du Rhin assure une présence dramatique remarquable au fil de la soirée.

Robert Houssart tire des 85 musiciens de l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg un discours et une palette instrumentale à la fois très mobile et contrastée. Assisté momentanément par Alphonse Cemin, le chef néerlandais parvient à surmonter la difficulté de diriger des chanteurs placés derrière lui et coordonnés par moniteurs. L'attention au phrasé et le soin des effets font de la partition d'Abrahamsen un ouvrage déjà classique en soi – sorte de conte pour grands enfants avec un orchestre sur le fil d'une modernité musicale entre austérité et merveilleux.

David Leigh (La Reine des neiges), Kay (Rachael Wilson)
Avatar photo
David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.

Autres articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici