C’est une soirée qui est allée en se bonifiant ! L’orchestre tout d’abord : quelques ratés et imprécisions inquiètent un peu dans l’ouverture… mais ils ne se répéteront pas, et les musiciens de l'Ensemble Pygmalion feront même preuve, au fil du spectacle, d’une précision, d’un sens des couleurs et des nuances remarquables, soulignant, sous la baguette énergique d’un Raphaël Pichon attentif au bon équilibre entre la fosse et le plateau, les arêtes du drame auquel ils confèrent une tension dramatique constante. Les chœurs ne sont pas en reste, émouvants dans le finale du premier acte, lumineux et jubilatoires dans le « Wer ein holdes Weib errungen » qui conclut l’œuvre. Baptême beethovénien réussi pour Raphaël Pichon et ses forces !

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Michael Spyres (Florestan) et l'Ensemble Pygmalion
© Stefan Brion

La mise en scène de Cyril Teste n’a cessé de s’améliorer au cours de la soirée. L’usage de la vidéo (y compris la « vidéo performative », procédé consistant à filmer ce qui se passe sur scène et à le projeter simultanément sur un écran) s’est à ce point banalisé aujourd’hui que son utilisation doit vraiment paraître nécessaire pour conserver un certain impact. Ce n’est pas tout à fait le cas lors des premières scènes de l’œuvre, où elle se fait plus ou moins anecdotique (Leonore coupant ses cheveux pendant l’ouverture), redondante (gros plan sur des liasses de billets pendant que Rocco chante les vertus de l’or), voire gênante : filmer Leonore en train de se travestir en geôlier pendant le « O wär’ ich schon mit dir vereint » de Marzelline empêche absolument de regarder et d’écouter la chanteuse !

Mais puis petit à petit, le recours à la vidéo se fait à la fois plus discret et plus percutant, notamment en renonçant à sa fonction narrative au profit d’une fonction plus poétique : il s’agira moins dans la seconde moitié du spectacle de raconter une histoire parallèle à celle qui se passe sur scène que de créer une ambiance, d’accentuer une émotion grâce à l’image filmée. Ainsi le simple gros plan sur les yeux embués de larmes de Leonore pendant son « Komm, Hoffnung », ou encore le visage de l’héroïne qui se reconstitue par l’agencement progressif des écrans pendant l’air de Florestan sont-ils des procédés simples, efficaces, parfaitement en phase avec ce que disent le texte et la musique.

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Siobhan Stagg (Fidelio / Leonore)
© Stefan Brion

Belle idée, également, que celle consistant à montrer en quoi la vidéo peut devenir une arme : alors que Pizarro la menace d’un révolver, Leonore s’empare d’une des caméras présentes sur scène pour filmer le gouverneur. La vidéo qui, dans la prison moderne et glaciale dans laquelle le metteur en scène situe l’action, est un moyen d’oppression et contribue à la déshumanisation des prisonniers, devient alors l’outil qui permettra de témoigner de la monstruosité du gouverneur. Signalons enfin que la mise en scène de Cyril Teste ne se résume pas à cet emploi de l’image animée mais réserve aussi quelques moments forts de théâtre « traditionnel », telle la scène, glaçante, de l’exécution (avortée) de Florestan, rappelant fort opportunément l’horreur de ces meurtres légaux que sont les exécutions capitales.

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L. Vrielink (Jaquino), M. Eriksmoen (Marcelline), S. Stagg (Fidelio / Leonore)
© Stefan Brion

En Florestan, Michael Spyres triomphe. Diamétralement opposée à celle des ténors d’obédience wagnérienne qui ont marqué le rôle, sa voix légère, lumineuse, lui permet non seulement de venir à bout de toutes les difficultés du rôle (on a rarement entendu les aigus de « zur Freiheit ins himmlische Reich » aussi naturellement intégrés à la ligne de chant !), mais aussi et surtout de brosser un portrait extrêmement émouvant du personnage. Mari Eriksmoen est une délicieuse Marzelline : après un début un peu timide, sa voix chaude et fruitée s’épanche avec grâce et naturel dans un rôle auquel elle donne une vraie épaisseur. Linard Vrielink a peu à chanter en Jaquino, mais il fait entendre une voix très agréable et bien projetée, donnant envie de le réentendre dans un rôle plus conséquent. Albert Dohmen campe un excellent Rocco, ne négligeant aucune des facettes d’un personnage à la fois bonhomme et un peu lâche ; Christian Immler a tout le charisme et l’autorité de Fernando ; et Gábor Bretz est un excellent Pizarro, évitant toute caricature (même si un surcroît d’autorité dans l’accent serait le bienvenu pour conférer plus de noirceur au personnage).

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A. Dohmen (Rocco), M. Spyres (Florestan), S. Stagg (Fidelio / Leonore)
© Stefan Brion

Enfin, Katherine Broderick (Leonore), arrivée en catastrophe pour pallier la défection de Siobhan Stagg (aphone mais mimant le rôle sur scène), fait bien mieux que sauver la soirée. Sa voix, large et puissante (cette soprano chante aussi Brünnhilde ou Giorgetta d’Il Tabarro) est sans doute très différente de celle de la chanteuse australienne mais elle s’intègre parfaitement à l’équipe de solistes, se montre à l’aise jusque dans les deux extrêmes de la tessiture (n’était un léger durcissement du timbre dans l’aigu) et campe une Leonore tout à la fois volontaire et extrêmement sensible. Sa prestation est accueillie, au rideau final, par un torrent d’applaudissements largement mérités !

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