Giacomo Meyerbeer (1791 – 1864)
Robert le diable (1831)
Opéra en cinq actes
Livret d’Eugène Scribe et Germain Delavigne,
Création le 21 novembre 1831 à l’Opéra de Paris

Direction musicale : Marc Minkowski
Mise en espace : Luc Birraux

Assistant à la direction musicale : Romain Dumas
Chef de chant : Jean-Marc Fontana

Robert, Duc de Normandie : John Osborn
Isabelle, Princesse de Sicile : Erin Morley
Bertram : Nicolas Courjal
Alice, Sœur de lait de Robert : Amina Edris
Raimbaut, un Troubadour : Nicolas Darmanin
Alberti / Un Prêtre : Joel Allison
Un Héraut d’armes / Le Prévôt du Palais : Paco Garcia

Chœur de L’opéra National De Bordeaux
Chef des chœurs : Salvatore Caputo
Orchestre National Bordeaux Aquitaine

26 septembre 2021 à l'Auditorium de l'Opéra national de Bordeaux, 19h

Prévu à l'origine pour être confié aux bons soins d'Olivier Py, ce Robert le diable devait compléter un triptyque initié à la Monnaie de Bruxelles par les Huguenots (2011) et le Prophète à la Deutsche Oper de Berlin (2018). La crise sanitaire bouscula le projet qui se retrouve aujourd'hui "mis en espace" par Luc Birraux à l'auditorium de Bordeaux. La direction solide et contrastée de Marc Minkowski soutient de belle manière un plateau superlatif où brille l'Isabelle de Erin Morley face au Bertram de Nicolas Courjal et le Robert de John Osborn. 

John Osborn (Robert), Erin Morley (Isabelle), Nicolas Courjal (Bertram), Amina Edris (Alice), Nicola Darmanin (Raimbaut), Joel Allison (Alberti)

 

Montée 754 fois et sans discontinuer soixante ans durant à l'Opéra de Paris, il fit de la capitale le centre de la vie lyrique, avant de disparaître complètement des programmes – la dernière production parisienne datant de 1985. On peine pourtant à mesurer la dimension le choc qu'a représenté Robert le Diable pour le public parisien de 1831, modèle parfait du "grand opéra français" regorgeant de péripéties et de grands effets. La salle alignait alors tous les ans un chef d'œuvre à la popularité fracassante : Auber et sa Muette de Portici en 1828 et surtout le Guillaume Tell de Rossini dont la version en cinq heures fait vibrer en 1829 la salle Le Peletier, ancêtre de Garnier. Meyerbeer signe avec Robert le premier opéra qu'il monte à Paris et dont le succès ne tardera pas à attirer des prétendants comme Donizetti, Verdi ou Wagner, tous avides de conquérir la capitale.

Meyerbeer travaille avec son librettiste Eugène Scribe un sujet dont il connait le fort potentiel d'attraction sur le public français. Le romantisme qui s'épanouit en pleine Monarchie de Juillet déborde ici de situations où les tourments psychologiques se mêlent sur fond de drame moyenâgeux à un parfum de blasphème et d'érotisme avec le célèbre ballet des nonnes sortant de leurs tombeaux pour tenter de séduire Robert – une scène qui inspira Wagner pour ses filles-fleurs et qui devint l'archétype du ballet romantique, chorégraphié par Taglioni dans des robes imitant la blancheur des spectres.

Le sujet que propose Scribe provient de deux sources, l'une littéraire avec un roman anonyme du XIIe siècle, l'autre historique avec le personnage de Robert le magnifique, le père de Guillaume le conquérant dont la jeunesse fut émaillée d'actes de cruauté et de violence avant d'adopter une conduite très pieuse et partir pour la croisade en Terre sainte où il mourut. On retrouve dans Robert le diable, une synthèse des succès littéraires du roman gothique et des romans médiévaux de Walter Scott avec un personnage qui lutte contre une hérédité maléfique par son père et sanctifiée par sa mère. Grâce à l'entremise de sa sœur Alice et surtout la prière d'Isabelle au dernier acte, Robert se libèrera de l'emprise de Bertram, son fidèle compagnon sous les traits duquel se dissimule Satan en personne.

"Pour recommencer Robert le Diable en littérature, il ne faut que du travail" confiait Balzac à son ami Armand Péréné, encore sous le choc d'une musique qualifiée de "temple de l’illusion et du miracle"dans sa nouvelle Gambara. Prévue à l'origine pour être monté en opéra comique, la partition de Robert le diable devint un grand opéra en cinq actes par l'ajout de strates successives dont les coutures peuvent sembler trop apparentes aujourd'hui. Nous sommes devant une somme comparable en 1830 à ce qu'à pu représenter le cinéma sur grand écran au XXe siècle. Les tableaux s'enchaînent selon une trame dont les incohérences improbables font sourire, dans des décors qu'on imagine grandioses et dont la démesure qui frappa les esprits de l'époque donnerait beaucoup de fil à tordre aux metteurs en scènes actuels pour en titre un résultat simplement acceptable.

Prévu à l'origine pour être confié aux bons soins d'Olivier Py, ce Robert le diable devait compléter un triptyque initié à la Monnaie de Bruxelles par Les Huguenots (2011) et Le Prophète à la Deutsche Oper de Berlin (2018). La crise sanitaire bouscula le projet qui se retrouve aujourd'hui "mis en espace" par Luc Birraux à l'auditorium de Bordeaux. Un jeu d'éclairages accompagne une disposition du chœur sur les galeries et l'utilisation de l'espace censé pallier l'absence de décors. L'adjonction de commentaires facétieux vient égayer la simple projection des surtitres avec un mauvais goût parfois contestable mais qui a au moins l'avantage de distraire l'auditoire quand pèse l'ennui de ces interminables marches harmoniques, invariablement rutilantes et sonores 4h 30 durant.

Marc Minkowski défend l'ouvrage avec une foi de charbonnier qui donne une carrure et un élan au plateau et aux musiciens de l'Orchestre national de Bordeaux Aquitaine. Le résultat est bien plus probant que la version dirigée à l'orée des années 2000 à la Staatsoper de Berlin dont la trace enregistrée (https://www.youtube.com/watch?v=tHIkfCuJeAA)  fait entendre décalages et chant en berne. Enregistrées en vue d'une future parution discographique du Palazzetto Bru Zane, ce Robert bordelais devrait témoigner d'un niveau d'exécution et de chant superlatif.

À la tête de la distribution, on placera sans hésiter l'Isabelle d'Erin Morley, capable dans son "Robert, toi que j'aime" de faire éclater avec brio un aigu qu'on peine à croire accessible. L'agilité de ses registres s'accompagne d'une ligne à la souplesse remarquable, doublée d'une projection très dense et précise dans la cabalette conclusive de "Gra^ce pour toi-même"). Nicolas Courjal suit de près dans cette hiérarchie de talents, avec un Bertram à la tessiture abyssale et très charnelle à la fois. Le phrasé et la diction sont tout simplement exceptionnels, donnant à des vers de mirliton et des dialogues d'un intérêt littéraire très mince, des allures de sublimes répliques ("J'ai bravé le ciel"). John Osborn offre au rôle-titre l'énergie et le timbre radieux qui signent la marque des grands interprètes de ce répertoire. Il sait mieux que quiconque mettre en valeur la souplesse et le raffinement des aigus par un usage subtil du vibrato qui, toujours, cède au soin du phrasé et de l'expression. Il est le seul interprète qui recourt à la partition, sur l'écran d'une tablette qu'il tient dans ses mains d'un bout à l'autre de la soirée. Le suivi du texte perturbe certains ensembles et nuit parfois au naturel des situations scéniques qui auraient demandé certainement moins d'apprêt. Parmi les seconds rôles, le Rimbaut de Nico Darmanin brille par un art de l'abattage et de l'expression ("L’or est une chimère") qui compose un bel équilibre avec le timbre solaire et véhémente d'Amina Edris en Alice. La soprano maîtrise un phrasé très naturel et des lignes à la douceur soulignée par une projection très endurante. Alberti et le Prêtre sont chantés de belle manière par Joel Allison, avec le solide Paco Garcia en Héraut d’armes puis Prévôt du Palais. Préparé par Salvatore Caputo, le Chœur de l’Opéra National de Bordeaux ne retrouve pas toujours la cohérence que l'éloignement de la disposition ne permet pas d'obtenir mais la réserve pèse peu en regard d'un engagement et d'une couleur d'ensemble remarquables.

Nicola Darmanin (Raimbaut), Nicolas Courjal (Bertram)
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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.

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