Idoménée de Campra (enfin) à l'Opéra de Lille

Xl_idom_n_e_de_cmapra___lille © Simon Gosselin

À défaut d’avoir ouvert la saison 20/21 de l’Opéra de Lille pour les raisons que l’on sait, le rare Idoménée d’André Campra vient inaugurer la saison 21/22 de l'établissement, alors qu’une version courte avait sauvé les meubles de la maison conventionnée « d’intérêt national ». Et l’on ne peut que s’en réjouir tant l’ouvrage est fascinant. Le livret d'Antoine Danchet est de qualité : il est toujours bien écrit et les alexandrins forts beaux font régner sur le théâtre une atmosphère de tragédie classique souvent plus majestueuse que chez Lully. Chaque minute de musique est d’une inventivité remarquable, et le compositeur aixois trouve des accents dramatiques insoupçonnés pour les répliques d’Electre ou d’Idoménée. Le personnage du roi est plus complexe encore que chez Mozart (dont l’Idomeneo a éclipsé cette première mouture), et le finale particulièrement tragique est autrement bouleversant que le lieto fine du génie salzbourgeois. Campra trouve aussi avec les personnages d’Idamante et d’Ilione, l’occasion de nous offrir ces trésors de tendresse et d’intensité pathétique que nous avions admiré dans Tancrède (son ouvrage lyrique le plus connu) monté à l’Opéra Grand Avignon en 2014.

On retrouve les mêmes interprètes que dans la version tronquée, mais avec des parties vocales plus étoffées (deux heures et quart de musique contre une heure et demie en 2020). Dans le rôle-titre, le baryton grec Tassis Christoyannis se montre, comme toujours, remarquable d’épaisseur humaine et de force dramatique. L’on admire notamment son Invocation à Vénus au IV, mais ses récitatifs ne sont pas moins bouleversants. La jeune Hélène Carpentier (Electre) nous offre de beaux moments de douceur et de délicatesse au IV également, mais son potentiel dramatique lui permet également de grands moments de fureur à l’acte 1. Remplaçant Chiara Skerath, annoncée souffrante, la soprano anglaise Lucy Page (Ilione) délivre un vibrant « Espoir des malheureux, plaisir de la vengeance », avec un timbre certes moins flatteur que celui de sa consœur, mais dans un français châtié. Son sens de la déclamation est même poignant, et son incarnation de ce personnage-pivot particulièrement frémissante. Son amant Idamante est interprété par son compatriote Samuel Boden, au timbre élégiaque et d’une puissance limitée, ce qui l’empêche de conférer tout le prestige vocal nécessaire à un rôle paré d’un certain panache héroïque. La mezzo française Eva Zaïcik (Vénus) fait preuve de son habituelle impétuosité vocale, tandis que son âme damnée, la Jalousie de Victor Sicard, est à sa place dans ce rôle qui requiert une émission ferme et un timbre mordant. Enfin, apparaissant dans divers emplois, Yoann Dubruque, Frédéric Caton et Enguerrand de Hys complètent avec bonheur l’excellent plateau vocal réuni à Lille.

Côté fosse, Emmanuelle Haïm dirige sa formation du Concert d’Astrée avec l’exigence du détail et la fougue mêlés qu’on lui connaît : l’homogénéité sonore est ici parfaite, et les sonorités s’avèrent royales, chaleureuses et chatoyantes, moirées ou nacrées. Sous sa battue, les danses ont une motricité prodigieuse, et les passages les plus dramatiques possèdent la tonicité et l’incisivité requises.

Quant à la mise en scène, confiée au trublion catalan, Alex Ollé, elle alterne jolies trouvailles et mauvaises idées. Le meilleur est à retrouver du côté de la scénographie confiée au fidèle Alfons Flores qui renoue avec les fastes des machineries baroques, supplées ici par les lumières d’Urs Schönbaum et surtout les vidéos d’Emmanuel Carlier qui alternent des images de verres brisées ou de flots tumultueux dignes du formidable Vaisseau fantôme que la même équipe avait (brillamment) signée in loco il y a quelques années. Nous avons aussi beaucoup apprécié le traitement des ballets, réglés par Martin Harriague, et formidablement exécutés par la Compagnie Dantzaz, déjantés au possible, mais s’intégrant sans anicroche à l’action. On a beaucoup moins aimé la direction d’acteurs, qui se résume le plus souvent à des poses convenues, et encore moins le fait d’avoir systématiquement habillé et grimé les personnages sur le même moule des Dieux qu’ils invoquent, ce qui ne fait qu’entraîner une totale confusion visuelle. Si bien, qu’aux applaudissements depuis le balcon, l’on ne savait pas qui l’on acclamait...

Emmanuel Andrieu

Idoménée d’André Campra à l’Opéra de Lille, le 2 octobre 2021

Crédit photographique © Simon Gosselin

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