L’Opéra national de Lorraine met les petits plats dans les grands pour l’ouverture de sa saison, en proposant, en co-production avec l’Opéra de Dijon, Il palazzo incantato de Luigi Rossi. Composé en 1642, la même année que Le Couronnement de Poppée de Monteverdi mais redécouvert dans la bibliothèque du Vatican par Leonardo Garcia Alarcón en 1999, cet opéra romain impressionne par son foisonnement musical et dramaturgique. Si la mise en scène du Belge Fabrice Murgia montre quelques faiblesses, ce « spectacle total », comme le présente le directeur de l’opéra Matthieu Dussouillez, fera forte impression auprès du public nancéen.

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Le Palais enchanté
© Gilles Abegg / Opéra de Dijon

C’est en effet un spectacle totalement démesuré. L’argument, d’abord, regroupe une multitude de personnages (vingt-sept en tout !) aux multiples péripéties et aux déboires improbables, ayant pour point commun le mage Atlante qui les tient enfermés dans son palais pour fixer leur sort et se jouer de leurs histoires. À cet argument fourni viennent s'ajouter des mouvements de danse particulièrement hypnotiques dans la performance aux accents hip-hop de Zora Snake, qui s'inscrivent dans la lignée des Indes galantes de Clément Cogitore présentées à Bastille en 2019. La musique, ensuite, est d’une complexité prenante, où longs récitatifs, doubles et triples chœur, airs et danses à l’écriture très minutieuse et aux harmonies parfois étonnantes forment un opéra de l’école romaine particulièrement flamboyant, par rapport à ceux des maîtres vénitiens de l’époque (Monteverdi en tête).

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Le Palais enchanté
© Gilles Abegg / Opéra de Dijon

La Cappella Mediterranea magnifie cette œuvre immense en livrant une interprétation plus que convaincante. Menés depuis le clavecin par leur directeur musical, le très charismatique Leonardo Garcia Alarcón, les musiciens, dans un effectif fourni pour l’époque (trois sacqueboutes, un continuo de huit instrumentistes…), enchaînent les différentes parties caractérisées par des changements incessants de tempo et de style avec une aisance et une fluidité admirable, dans ce qui s’apparente à un véritable marathon. Omniprésent, Alarcón se lève très régulièrement de son tabouret et dirige la moindre inflexion, le moindre phrasé dans une partition pourtant déjà bien dense, sans écraser toutefois les chanteurs.

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Le Palais enchanté
© Gilles Abegg / Opéra de Dijon

Ceux-ci ne sont pas en reste dans une partition qui sollicite presque toutes les tessitures, de la basse à la soprano en passant par le contre-ténor. La performance la plus marquante de la soirée reste celle de l’Américaine Deanna Breiwick (qui chante le personnage de Bradamante et de La Peinture dans le prologue), éblouissante dans le registre aigu d'une voix aux accents de colorature, et bouleversante dans chacun de ses airs. À noter aussi l’excellent Kacper Szelążek, contre-ténor polonais à la projection puissante et souvent drôle dans ses interventions, assumant complètement son personnage (Prasildo) extraverti et visiblement épanoui dans les plaisirs terrestres. À saluer enfin la performance de Fabio Trümpy qui incarne un Ruggiero d’une importance capitale dans l’action et qui, loin de montrer un quelconque signe de faiblesse, tient jusqu’au bout des 3h30 que dure la représentation avec une voix précise et une présence scénique solide. Légère déception en revanche pour l’Atlante de Mark Milhofer, au timbre quelque peu rauque, qui semble avoir du mal à s’imposer parmi tous les personnages.

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Le Palais enchanté
© Gilles Abegg / Opéra de Dijon

Peut-être est-ce le fait de la mise en scène, qui le sépare du reste des chanteurs : Atlante, du haut de son rôle de manipulateur, est placé au-dessus des autres. En bas s’activent les personnages dans des décors variés et contemporains : un hôtel, une prison, un hôpital, qui défilent sur des tournettes, procédé qui permet de faire apparaître et disparaître les multiples histoires ainsi facilement identifiables par le spectateur. À ce dispositif scénique déjà consistant est ajouté, comme de plus en plus souvent aujourd’hui, une retransmission vidéo en direct, ici sur la partie haute de la scène, derrière Atlante. On ne perçoit pas beaucoup l’intérêt d’un tel ajout à l’acte I, où les vidéos n’apportent rien de plus à la scénographie. Cela semble plus pertinent à l’acte III où son usage se fait moins systématique et où la projection en noir et blanc apporte une vraie dramaturgie symétrique à l’action qui se déroule plus bas. De manière générale, Fabrice Murgia paraît vouloir montrer beaucoup d’éléments dans une action déjà bien chargée, et dont le foisonnement en termes de lumières, de décors, de costumes et de déplacements, aussi bien réalisés soient-ils, tend à perdre le spectateur.

Cette production n’en demeure pas moins réjouissante, longuement saluée par un public qui reconnaît volontiers le défi de taille que les artistes ont su relever, au vu des proportions colossales d'une œuvre qui ne demande qu’à être reprise à l’avenir, après avoir sagement dormi au Vatican pendant près de 400 ans.

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