Luigi Rossi (1597 – 1653)
l Palazzo incantato (1642)
azione in musica en trois actes avec prologue
Livret de Giulio Rospigliosi (futur Pape Clément IX) d’après Orlando furioso de l’Arioste
Créé le 22 février 1642 au Palazzo Barberini à Rome

Leonardo García Alarcón, direction musicale
Fabrice Murgia, mise en scène
Décors : Vincent Lemaître
Costumes : Clara Peluffo Valentini
Orlando : Victor Sicard
Angelica : Arianna Venditelli
Ruggiero : Fabio Trümpy
Bradamante / La Peinture : Beanna Breiwick
Atlante : Mark Milhofer
Olympia / La Musique : Lucia Martín-Cartón
Marfisa / La Magie / Doralice : Mariana Florès
Gigante / Sacripante / Gradasso : Grigory Soloviov
Prasildo / Le Nain : Kacper Szelążek
Alceste : André Lacerda
Ferrau / Astolfo : Valerio Contaldo
Fiordiligi / La Poésie : Gwendoline Blondeel
Mandricardo : Alexander Miminoshvili

Chœur de l’Opéra de Dijon
Chœur de chambre de Namur
Chef de chœur : Anass Ismat
Chef de chant : Ariel Rychter
Cappella Mediterranea

Nancy, Opéra National de Lorraine, mercredi 6 octobre 2021 à 19h30

Il Palazzo incantato marque l’apothéose ultime de l'opéra romain avant que la chape de plomb moraliste du pape Innocent X ne fasse disparaitre le genre durant plusieurs décennies. Découverte fortuitement dans les archives du Vatican par Leonardo García Alarcón, l'œuvre renaît aujourd'hui sous sa direction avec le concours de "sa" Cappella Mediterranea et un plateau vocal et haut vol, dans une mise en scène très rigoureuse signée Fabrice Murgia. Adaptée de l’Orlando furioso de L’Arioste, le livret relate les aventures et les amours du chevalier Roger et la princesse Bradamante, séparés par le mage Atlante. Les Sept heures (!) originelles sont réduites ici à un spectacle très dense de trois heures durant lesquelles se multiplient et s'entrecroisent des débauches d'effets et de coups de théâtre. Après Dijon et en attendant d'Opéra royal de Versailles, c'est à l'Opéra de Lorraine que fait escale l'équipage de ce délirant vaisseau…

Beanna Breiwick (Bradamante), Mariana Florès (Marfisa) © Gilles Abegg

Originaire des Pouilles, Luigi Rossi fit carrière auprès de la famille Borghese à Rome, pendant vingt ans. C'est le cardinal Barberini qui lui passa commande de son premier opéra Il Palazzo incantato (le Palais enchanté) en 1641. Passé à la cour d’Anne d’Autriche, puis appelé à Paris par le cardinal Mazarin qui souhaitait introduire le genre lyrique à la cour de France, il donnera 47 et avec un grand succès, l'Orfeo, son deuxième opéra. Tombé dans l'oubli depuis près de quatre siècles, ce Palais enchanté représente la guerre de genre et de styles qui sévissait alors dans la péninsule entre les deux places fortes de la création qu'étaient Rome et Venise, avec comme protagonistes Rossi et Cavalli. Le Cardinal Barberini souhaite affirmer le pouvoir aristocratique de la Rome d'Urbain VIII sur l'ensemble de l'Europe en commandant aux meilleurs musiciens et librettistes une œuvre à l'importance politique et esthétique. Le Palais enchanté de Luigi Rossi ouvre une perspective qui se referme aussitôt dans la mesure où deux ans après sa création en 1642, Giovanni Battista Pamphili, membre de la famille rivale des Barberini, et connu sous le nom d'Innocent X, accède au pouvoir et fait régner une rigueur catholique très éloignée des fastes précédents.

À l'opposé de la taille modeste des théâtres vénitiens, l'opéra de Rossi exige un espace capable d'accueillir d'importants effectifs : jusqu'à 27 rôles chantés, des doubles et triples chœurs à 6 et 12 voix, une quarantaine de musiciens, des ballets et des décors suffisamment nombreux et modulables pour pouvoir rendre sept heures durant (!) toutes les intrications et la luxuriance débordante de cette fable lyrique. Rédigé par Giulio Rospigliosi (lui-même futur pape sous le nom de Clément IX !), le livret du Palais enchanté reprend en les adaptant, des éléments de l'Orlando furioso de l’Arioste. Sur près de 3000 vers se déroule un dramma per musica en trois actes, plein de péripéties qui s'enchevêtrent les unes aux autres en bruissant d'un souffle épique.

Découvert par un heureux hasard dans les archives du Vatican il y a une vingtaine d'années par Leonardo García Alarcón, Il Palazzo incantato fut donné une première fois à l'Opéra de Dijon pendant le confinement sanitaire. Coproduit par l'Opéra de Lorraine et l'Opéra royal de Versailles, cette production aura également bénéficié d'une captation vidéo dont le soin accordé au montage, à la bande-son et à la prise de vue laissent augurer d'une probable parution commerciale d'ici peu. La mise en scène de Fabrice Murgia joue la carte d'un espace mobile et moderne qui fait de ce palais un labyrinthe multiple et complexe dans lequel on erre autant que l'on se perd. Le décor de Vincent Lemaître sépare sur un étage inférieur et supérieur les aventures de Bradamante et du chevalier Roger, avec le mage Atlante qui tire les fils invisibles d'une intrigue où les personnages affluent, s'aiment, se quittent ou se poursuivent.

Une captation vidéo en direct donne à l'entreprise une allure assez modeuse avec des gros plans et des effets qui semblent tout droit sortis d'une série TV. Ce théâtre d'images intéresse dans un premier temps, captivant le regard à la manière d'un clip vidéo où les corps lascifs et énamourés défilent en traveling arrière et zooms suggestifs. La répétition de ces scènes avec le chanteur fixant l'objectif pendant son air alternant avec le visage de son alter ego en train de l'écouter, finit par lasser – le recours à la technique vidéo étant incapable de trouver le sens et l'énergie que pourrait y trouver un Bieito ou un Castorf. Au fur et à mesure que la narration progresse, les écrans de projection se font plus discrets et disparaissent carrément au moment où les sortilèges du Klingsor – Atlante cessant d'opérer, la réalité apparaît mise à nue.

Victor Sicard (Orlando), Mark Milhofer (Atlante), Arianna Venditelli (Angelica) © Gilles Abegg

"Réduite" à trois heures d'un spectacle à la fois riche et dense, ce Palais enchanté brille par la volonté affirmée d'en souligner le côté Gesamtkunstwerk baroquisant, avec une confusion des genres rappelant les ballets hip-hop des Indes Galantes (avec cette fois, les danseurs Joy Alpuerto Ritter et Zora Snake), le cinéma populaire, la couleur des instruments anciens et les performances vocales. Ce très métaphorique Palais a tout d'une attraction foraine avec ses allures de château hanté ou palais… des glaces avec miroirs déformants ou sans tain. Les personnages circulent et se perdent sous nos yeux, parfois séparés d'une simple cloison ou bien chantant à distance la joie prochaine de se retrouver. On erre dans des couloirs d'hôtel qui se muent en parloir de prison ou en backroom de boîte de nuit, avec parfois l'irruption mystérieuse de références comme la chambre 306 derrière laquelle semble avoir été commis un meurtre (celui de Martin Luther King dans le Lorraine Motel à Memphis en l'occurrence).

Il faut accepter de lâcher-prise pour pénétrer dans les arcanes d'une narration où les scènes semblent s'agrèger les unes aux autres sans autre nécessité pour Rossi et Rospigliosi d'augmenter et de complexifier à l'extrême une intrigue déjà largement déraisonnable. Courtisée par Orlando, Sacripante et Ferrau, la princesse Angélique presse Ruggiero de ses ardeurs, soulevant la fureur de Bradamante, retenue prisonnière d'Atlante. Introduite par un Prologue aux atours relativement conventionnels, la narration se place sous les bons auspices de la Magie, venant clôturer le débat entre la Peinture, la Musique et la Poésie, la Musique en affirmant sa suprémacie. Interprétée magistralement par Mariana Florès, la Magie se mue ensuite en Marfisa volant au secours de Bradamante, puis Doralice délicate et volontaire dans son expression et ses couleurs. Parfaitement projetée et articulée, la ligne vocale de Deanna Breiwick (La Peinture, Bradamante) est remarquable d'endurance et de tension. Le Ruggiero de Fabio Trümpy compose un parfait complément, idéal de souffle et de demi-teintes dans "Deh, dimmi, aura celeste". Angélique trouve en Arianna Venditelli une artiste capable d'en exprimer tous les contrastes et les émotions. Il faut entendre la vigueur de ses aigus dans la scène où elle exprime son amour à Ruggiero ou bien l'attendrissement face à l'Orlando héroïque et bien phrasé de Victor Sicard. L'ensemble des voix qu'on hésite à ranger parmi les "seconds rôles" brillent par des qualités et des valeurs individuelles. Le duo Grigory Soloviov (Gigante / Sacripante / Gradasso) et Valerio Contaldo (Ferrau / Astolfo). Kacper Szelazek offre à Prasillo et au fugace personnage du Nain (aux côtés du remarquable André Lacerda en Alceste), la virtuosité étourdissante de son contre-ténor tandis qu'Alexander Miminoshvili fait de Manricardo, un protagoniste d'exception. Lucia Martin-Carton est une magnifique et très pure Musique, Olympia et Echo – avec Gwendoline Blondeel, idéale dans la Poésie et Fiordiligi. Trouverait-on la rugosité de Mark Milhofer trop marquée dans Atlante ? Le timbre campe le personnage dans un profil psychologique assez uniforme qui contraste avec le vif-argent des émotions et des caractères de ses victimes.

Le Choeur de chambre de Namur et le Choeur de l'Opéra de Dijon brillent de mille feux dans des ensembles à dimensions variables, multipliant les situations, les personnages et les genres. Ils composent avec la Cappella Mediterranea, un ensemble remarquable que la direction de Leonardo García Alarcón anime et magnifie avec brio. Les vents stupéfient de vigueur et de précision, complétés par des cordes très denses et très charnues. On voit mal quelle autre baguette, dans ce répertoire, pourrait disputer au chef argentin la suprématie et l'excellence du goût au service d'un authentique chef d’œuvre jusqu'alors inconnu.

Arianna Venditelli (Angelica), Fabio Trümpy (Ruggiero) © Gilles Abegg
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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.
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