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​Guillaume Tell à l’Opéra de Marseille – Du rififi à Legoland – Compte-rendu

L’Opéra de Marseille a ouvert sa saison avec Guillaume Tell,  l’ouvrage fleuve de Rossini qui n’avait pas été donné ici depuis plus d’un demi-siècle. Une production à deux faces : côté pile séduisante musicalement et vocalement, côté face, déconcertante scéniquement.
C’est une représentation en configuration covid à laquelle le public était convié puisque, distanciation oblige, l’orchestre maison a pris place au parterre dont les six premières rangées avaient été démontées. Absence de fosse, donc, et obligation faite aux voix de « passer » le rideau sonore des instruments, soit obligation d’exceller dans la projection.
 

© Christian Dresse 

Par chance, les solistes bénéficiaient de la direction impressionnante d’aisance et d’exactitude du jeune chef Michele Spotti. Dans ces conditions délicates du fait de la disposition des instrumentistes, le maestro a évité les excès de puissance tout en assurant l’essentiel émotionnel lié à cette partition. C’est une vraie communion entre un directeur musical et un excellent orchestre à laquelle nous avons assisté. Cordes soyeuses et généreuses, vents aériens et toujours précis, cuivres et percussions tout en maîtrise sans perdre leur générosité : le résultat s’est avéré somptueux du début (remarquable ouverture !) jusqu’au final. Ce travail tout en souplesse a profité grandement à une distribution qui n’a pas laissé passer l’occasion de briller.
Il revenait à Angélique Boudeville (photo) d’embrasser pour la première fois le rôle de Mathilde. Prise de rôle amplement positive pour la soprano ; une ligne de chant précise, du volume et de la rondeur, des aigus maîtrisés et une présence scénique assurée font d’elle la grande triomphatrice de la soirée. A ses côtés, Enea Scala (photo) donne vie à un Arnold déchiré (et déchirant) entre un amour presque interdit et la volonté de venger un père assassiné par le frère de sa belle. On parlait de projection plus haut, et s’il en est un qui n’en manque pas, c’est bien lui ! Et sa diction quasi parfaite constitue un immense atout pour son ténor percutant, sensible et impressionnant dans les aigus.
 

© Christian Dresse
 
Alexandre Duhamel effectuait lui aussi une prise de rôle en Guillaume Tell. Après un départ hésitant et moyennement assuré, le baryton a su entrer dans son personnage pour lui donner toute sa dimension électrisante de patriote et de père aimant. Oubliées les hésitations vocales au moment de placer le carreau dans la pomme et de tenir tête, avec puissance et densité vocales, au tyran Gessler. Nul doute qu’il aura l’occasion de reprendre le rôle et de l’affirmer encore plus au sein d’autres productions. A ses côtés Annunziata Vestri est une idéale Hedwige, beau mezzo ample et précis, et Jennifer Courcier un Jemmy crédible en ado agaçant.
Des plus inquiétants, le Gessler de Cyril Rovery traverse l’œuvre avec une tête de führer longiligne et un sombre baryton qui sied parfaitement au rôle. Thomas Dear, Melchtal, Camille Tresmontant, Rodolphe et Patrick Bolleire, Walter Furst, sont à l’unisson de la qualité vocale de cette production. Mentions spéciales, enfin, pour le Leuthold de Jean-Marie Delpas, diction parfaite et émotion au rendez-vous, et pour Carlos Natale, séduisant pêcheur. Sans oublier les membres du chœur, que l’on aurait aimé voir en plus grand nombre sur le plateau et qui, même relégués en fond de scène pour cause de distanciation, ont parfaitement servi la partition.
 
Michele Spotti © Christian Dresse
 
Solistes, choristes et instrumentistes chaleureusement ovationnés, tout comme le directeur musical, après quatre heures de représentation. Ce qui ne fut pas cas pour le metteur en scène Louis Désiré et de son équipe. Eléments principaux du décor signé Diego Méndez-Casariego, des blocs de bois avec lesquels on joue au fils des actes comme avec des briques de Lego pour les transformer en murs, lit, et bien d’autres choses encore. On est loin des rives du lac des Quatre-Cantons et la barque à la coque faite de miroirs est aussi surprenante qu’étroite. Etrange, aussi, ce « rocher de Damoclès » descendant des cintres on ne sait trop pourquoi … Il sera difficile au spectateur qui découvre l’œuvre de se retrouver dans cette vision volontairement épurée mais tellement obscure par rapport au livret. Malgré les lumières toujours soignées de Patrick Méeüs, on peut comprendre pourquoi la lecture de Louis Désiré a été loin de faire l’unanimité. C’était un peu « rififi à Legoland » : dommage car, musicalement et vocalement, la production mérite la découverte.
 
Le prochain rendez-vous à l’Opéra de Marseille sera lui aussi rossinien avec une Armida en version de concert, sous la baguette de José Pérez-Sierra.
 
Michel Egéa
Rossini : Guillaume Tell – Marseille, Opéra, 12 octobre ; prochaines représentations 15, 17 & 20 octobre 2021 / opera.marseille.fr/programmation/opera/guillaume-tell  /// Rossini : Armida, du 29 octobre au 5 novembre 2021 :opera.marseille.fr/programmation/opera/armida
 
 
Photo © Christian Dresse
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