A Strasbourg, Stiffelio révèle un authentique ténor verdien

- Publié le 15 octobre 2021 à 12:11
Jonathan Tetelmann domine la distribution inégale d'un des opéras les plus méconnus de Verdi. D'une sobriété concentrée, le spectacle de Bruno Ravella est à la hauteur des enjeux de l'œuvre.
Stiffelio de Verdi

Un pasteur ahasvérien, dont la femme a été abusée par un séducteur, lui impose le divorce et finit par lui pardonner quand il lit en chaire la parabole de la femme adultère. Dernier opéra avant la fameuse trilogie, Stiffelio, où le mari trompé est pour une fois ténor, avait de quoi titiller la censure en 1850 – Verdi le transforma plus tard en Aroldo. Ressuscitée à Parme en 1968, la partition ne s’imposa vraiment que dans les années 1990, quand un José Carreras et un Placido Domingo s’emparèrent du rôle-titre. Malgré ses beautés, qui anticipent souvent sur la trilogie… ou sur Otello, Stiffelio reste rare en France : rien entre la production toulonnaise et rémoise de 1994 et celle que Strasbourg vient de mettre à l’affiche.

Du péché au pardon

Bruno Ravella va au-delà du drame conjugal : inspiré par les Amish, il met en scène une communauté souillée par le péché de l’épouse coupable, puis régénérée par son pardon. La faute rejaillit d’ailleurs sur toute la nature, provoquant un déluge : la maison et temple de bois, perdue dans une nature déserte, deviendra arche de Noé. Le metteur en scène joue donc sur les symboles : la fin du premier acte se réfère à la Cène, et l’eau, au dénouement, sera celle de la renaissance baptismale. Il n’élude pas, pour autant, la violence du conflit qui déchire le couple ou Stiffello lui-même, pasteur austère, presque fanatique, mais aussi époux aimant et jaloux. Une production très lisible, d’une sobriété concentrée, à la hauteur des enjeux de l’œuvre.

Il faut ici de grandes voix verdiennes, qu’on n’a pas toujours entendues. Hrachuhi Bassenz, ainsi, n’est pas le grand spinto exigé par Lina, manque d’appui dans le médium et le grave, achoppe sur les grands passages dramatiques, mais a pour elle un timbre fruité et un cantabile de haute école, fondé sur un souffle long, avec des demi-teintes éthérées. Son père, qui tue le séducteur, trouve malheureusement en Dario Solari un baryton monochrome et sommaire, butant sur les écueils de sa grande scène du troisième acte. Jonathan Tetelman, en revanche, tête à la Abraham Lincoln, s’impose vite en Stiffelio, par la beauté de la voix et la tenue de la ligne, jusque dans ces fureurs annonçant Otello, nullement gêné par une tessiture parfois assez centrale : lui seul satisfait pleinement aux exigences de son rôle. Côté comprimarii, beaucoup plus que le Raffaele de Tristan Blanchet, se retient le pasteur fanatique du caverneux Önay Köse.

Orchestre en berne

Andrea Sanguineti, qui a regardé de près l’édition critique, tend l’arc du drame tout en respectant l’intimisme de l’œuvre, crée des climats, surtout au dernier acte, mais n’arrache pas à sa grisaille un Orchestre de Mulhouse des petits soirs, alors que le chœur strasbourgeois fait honneur à sa partie.

Stiffelio de Verdi. Strasbourg, Opéra du Rhin, le 12 octobre.

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