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Le pasteur généreux

Strasbourg
Opéra national du Rhin
10/10/2021 -  et 12, 14*, 16, 19 octobre (Strasbourg), 7, 9 novembre (Mulhouse) 2021
Giuseppe Verdi : Stiffelio
Jonathan Tetelman (Stiffelio), Hrachuhí Bassénz (Lina), Dario Solari (Stankar), Tristan Blanchet (Raffaele), Onay Köse (Jorg)
Chœur de l’Opéra national du Rhin, Alessandro Zuppardo (chef de chœur), Orchestre symphonique de Mulhouse, Andrea Sanguineti (direction)
Bruno Ravella (mise en scène), Hannah Clark (décors et costumes), Malcolm Rippeth (lumières), Carmine De Amicis (mouvements)


(© Klara Beck)


On a coutume de distinguer le Verdi de la maturité, donc le « grand Verdi », de celui des « années de galère », longue période d’incertitudes et de nouveaux projets à concrétiser à grande vitesse, sans prendre le temps de soigner sa copie. La charnière entre ces deux époques se situe pile au milieu du 19e siècle, la création de l’opéra Luisa Miller, en décembre 1849 à Naples, matérialisant une rupture relativement nette avec tout ce qui a précédé.


Créé à Trieste en 1850, Stiffelio se situe donc juste sur cette charnière-là, ce qui est inconfortable. Verdi continue à creuser des approches moins conventionnelles, mais il a déjà sur son agenda le projet de Rigoletto, en vue duquel il paraît s’être quelque peu réservé. S’il y a beaucoup de superbes passages dans Stiffelio, les bâclages et les pages conventionnelles sont loin d’en être absents, créant même parfois de curieuses chutes de niveau au sein du même air ou ensemble. Quant au livret, histoire d’une épouse à laquelle son mari, pasteur de son état, va se résoudre à pardonner son adultère, mais quand même après avoir songé au divorce, voire à l’élimination physique de son rival, la censure d’époque imposa d’en réduire beaucoup la substance. Pourtant l’ouvrage mérite amplement d’être écouté, et puis d’ailleurs Verdi lui-même ne l’a jamais renié, au point d’en recycler l’essentiel dans un opéra ultérieur, Aroldo, qui n’obtint pas beaucoup plus de succès, le public de Rimini flairant sept ans plus tard avec méfiance un Stiffelio riscaldato : un Stiffelio réchauffé !


Donc un ouvrage de Verdi plutôt discret, voire délaissé, même au XXe siècle, hormis quand l’un ou l’autre grand ténor (José Carreras, Plácido Domingo...) a tenu à chanter le rôle principal, gratifiant mais difficile. L’Opéra national du Rhin donne donc quasiment Stiffelio en première française : une initiative courageuse, mais pour laquelle de vraies garanties de qualité ont été prises.


La production, d’abord, qui assume le risque d’un livret envisagé dans sa littéralité, sans transposition hasardeuse ni spéculations intellectuelles. Pour passer le cap de la censure, Verdi n’avait pas hésité lui-même à changer plusieurs fois Stiffelio d’époques et de contextes, et même placé ensuite Aroldo dans un improbable Moyen-Age écossais. Ici, Bruno Ravella s’en tient sobrement à l’intemporalité d’une communauté Amish, d’une piété renfermée sur elle-même : des costumes noirs, une église de bois joliment dépouillée comme en Nouvelle-Angleterre, un paysage sobrement vide autour... Et puis une direction d’acteurs au cordeau, sans rien d’original ni d’agité, mais qui cible bien les émotions, éclairages judicieusement dramatisés à l’appui. Pour nous laisser découvrir objectivement un ouvrage peu connu, c’est là un effacement idéal, doublé d’un vrai professionnalisme. Et puis remercions aussi Bruno Ravella d’éviter de mettre l’Ouverture en scène. A quoi bon déranger notre écoute, de ce qui devrait rester avant tout une mise en condition musicale ?


Distribution exceptionnelle, a fortiori pour des prises de rôle à chaque fois. On avait déjà remarqué le jeune ténor américain d’origine chilienne Jonathan Tetelman dans Francesca da Rimini à Berlin, et ici son aura se confirme. Une remarquable présence en scène, même si la production ne met guère l’accent sur son sex-appeal pour midinettes montées en graine (au demeurant réel), et une voix qui résiste bien techniquement, y compris même quand certains éclats colériques – préfigurations saisissantes d’Otello – pourraient mettre l’instrument en danger. C’est sensiblement au même âge que Jonas Kaufmann avait commencé à se faire remarquer internationalement, lui aussi par un rayonnement scénique particulier, et une technique vocale plutôt moins orthodoxe. Or on sait la carrière qui a suivi. Sa partenaire, la soprano arménienne Hrachuhí Bassénz, dispose elle aussi de beaucoup d’atouts. Dommage simplement que ses échappées vers l’aigu manquent du rien de lumière et de souplesse qui font les interprètes de Verdi inoubliables : il reste encore quelque chose à arrondir et à ennoblir, pour passer d’un bel instrument à un Stradivarius. Ensemble complété par de remarquables tessitures graves, parfaits Dario Solari en père noble (baryton cependant, et non basse, c’est aussi l’une des originalités de l’ouvrage), et Onay Köse en pasteur Jorg, basse à laquelle Verdi confie un très bel air d’entrée. Quant au jeune ténor Tristan Blanchet, il réussit à marquer d’une vraie personnalité un rôle d’amant falot, en tout cas relativement sacrifié par le livret.


Et puis il y aussi au pupitre un chef qui fait preuve de véritables affinités avec cette musique, somme toute extrêmement difficile, obéissant encore à des codes belcantistes parfois convenus, mais où il faut savoir souligner aussi beaucoup d’originalités déjà spécifiquement verdiennes, sans pour autant morceler le propos. Et ici Andrea Sanguineti maîtrise le sujet en chef de théâtre doté d’une véritable expérience du terrain. L’Orchestre symphonique de Mulhouse en sort magnifié, précis, sculpté même, par une direction qui modèle à la main timbres et phrasés, tout en soutenant le plateau à chaque instant. Aucune défaillance, et même des sonorités qui s’arrondissent encore au fur et à mesure que la soirée avance. Chapeau bas !



Laurent Barthel

 

 

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