Un Guillaume Tell épuré mais enthousiasmant à l'Opéra de Marseille

Xl_guillaume_tell___marseille © Christian Dresse

Les effets de la crise sanitaire sur le monde du théâtre n’ont pas encore complètement disparu, et c’est ainsi que le Guillaume Tell de Rossini présenté actuellement à l’Opéra de Marseille s’avère un peu particulier. Pour commencer, afin de respecter la distanciation physique entre les musiciens, la fosse est prolongée vers la salle qui perd ainsi ses six premières rangées, tandis que les choristes sont eux placés sur des praticables tout autour de la scène (mais cachés par une tulle qui les dévoile parfois). La partie scénique est confiée à l’incontournable enfant du pays Louis Désiré (déjà signataire cette année ici-même de pas moins de trois productions : La Bohème en janvier, Tosca en février et Luisa Miller en mars), qui s’en trouve également affectée. Loin des fastes décoratifs et déploiements d’effectifs que réclame en principe ce prototype du Grand-Opéra français, c’est une production plutôt dépouillée que signe ici l’homme de théâtre marseillais. La scénographie imaginée par Diego Mendez-Casariego est constituée de blocs en bois disséminés sur le plateau, sortes de LEGO qui, posés les uns à côtés des autres, permettent de construire ici un banc ou là un muret. Des projections vidéo sur la tulle en fond de scène permettent de situer l’action dans un paysage de montagnes ou de forêts. Un bloc de pierre qui descend des cintres à certains moments clés de l’action vient symboliser la tyrannie et l’oppression. Quant à la direction d’acteurs, elle se montre toujours de bon aloi, et nous ne comprenons pas l’hostilité de quelques spectateurs parmi le public à l’encontre de son traitement de l’inévitable ballet du troisième acte, ici remplacé par une scène où trois couples helvètes sur le point de se marier sont humiliés et brutalisés par l’envahisseur autrichien. À Londres, Damiano Michieletto avait transformé ce même ballet en scène de viol collectif, une scène autrement plus outrée et choquante, mais ici l’idée nous semble tout à fait judicieuse.

La distribution est dominée par le Guillaume Tell d’Alexandre Duhamel auquel il prête son timbre robuste et sa superbe éloquence. Des graves à la fois chaleureux et impérieux et une intonation percutante en font un Tell idéal : il en a l’ampleur et l’épaisseur, l’autorité et la conviction. L’Arnold d’Enea Scala suscite un égal enthousiasme, car le ténor sicilien renoue tout simplement avec grande tradition romantique créée par Adolphe Nourrit. Son aisance spectaculaire déconcerte, l’étonnante facilité de son aigu éblouit, la vaillance à toute épreuve de son timbre et sa tenue de souffle étonnent, même s’il bute ce soir sur le suraigu final de son grand air « Asile héréditaire ». Et si la ligne peut certes acquérir davantage de morbidezza et le phrasé plus de nuances, sa prestation n’en demeure pas moins inouïe. Déjà à ses côtés dans La Bohème précitée, la magnifique soprano française Angélique Boudeville confirme tous les espoirs que nous plaçons en elle depuis que nous l’avons découverte il y a deux ans. Parfaitement à sa place dans le chant extatique de « Sombre forêt » où elle fait preuve d’un remarquable sens du phrasé, elle ne fait pas moins fi de la composante dramatique de la tessiture, où sa voix riche et ample, aux sonorités somptueuses, sa coloratura ornée, et son art du souffle s’avèrent confondants. En dépit d’une élocution française perfectible, la mezzo italienne Annunziata Vestri se montre émouvante en Hedwige, surtout dans son trio final avec Mathilde et Jemmy. Ce dernier est campé par la jeune soprano française Jennifer Courcier qui allie fraîcheur et aplomb dans ce rôle travesti. Cyril Rovery incarne un sinistre Gessler, à la voix mordante malgré d'inhabituelles baisses de tension, tandis que la basse française Thomas Dear compose un Melchtal plein de noblesse. Enfin, Patrick Bolleire est un très solide Walter, Camille Tresmontant un Rodolphe racé, Jean-Marie Delpas un émouvant Leuthold, et Carlos Natale un Pêcheur lyrique et stylé à souhait.

Au pupitre, le jeune chef italien Michele Spotti (que nous avons rencontré dernièrement) enthousiasme au plus haut point. Sa direction fiévreuse est tout simplement magistrale, et l’Orchestre Philharmonique de Marseille – favorisé par son inhabituelle disposition – le suit dans toutes ses intentions, que ce soit dans les airs élégiaques évoquant La Donna del lago ou dans les grands ensembles alla Moïse et Pharaon. On admire notamment sa maîtrise des équilibres sonores propres à cette immense fresque lyrique, avec un sens aigu de la caractérisation des atmosphères et de la psychologie des personnages. Un triomphe par ailleurs partagé avec le Chœur de l’Opéra de Marseille, toujours aussi magnifiquement préparé par Emmanuel Trenque !

Emmanuel Andrieu

Guillaume Tell de Gioacchino Rossini à l’Opéra de Marseille, jusqu’au 20 octobre 2021

Crédit photographique © Christian Dresse

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