Siegfried, nocturne de Jarrell à Nantes : fin de l’histoire

Xl_siegfried_nocturne_-_g_n_rale_piano-8 © Jean-Marie Jagu

Créée en 2018 au Palais Garnier, Bérénice de Michael Jarrell avait déçu. La faute en incombait au compositeur suisse, qui allait contre le classicisme de la pièce de Racine au profit d’un expressionnisme gris et hérissé. Pour Siegfried, nocturne à l’Angers Nantes Opéra, Michael Jarrell retrouve des eaux plus familières, la culture germanique convenant a priori mieux au compositeur genevois.


Siegfried, Nocturne (Générale Piano) ©Jean-Marie Jagu


Siegfried, Nocturne (Générale Piano) ©Jean-Marie Jagu

Le spectacle nantais n’est pas une création. La première de l'œuvre s’était déroulée à Genève en 2013, année du bicentenaire de la naissance de Wagner. A l’instar de Cassandre (monodrame écrit par Jarrell en 1993 et régulièrement repris sur les scènes françaises et européennes), Siegfried nocturne est un court opéra d’une heure pour un chanteur, petit ensemble instrumental et électronique. Signataire du livret, Olivier Py signe également la mise en scène du spectacle au Théâtre Graslin.

La scène s’ouvre sur l’évocation d’un fleuve, représenté par le choeur de trois Filles du Rhin (Dima Bawab, Pauline Sikirdji, Sophie Belloir). Omniprésent sur scène, Siegfried (interprété par le grand chanteur contemporain Otto Katzameier) se noie dans la nostalgie d’un pays perdu, jusqu’à la chute du plafond, à la manière d’un jump-scare au cinéma, de chaussures renvoyant directement aux camps de concentration. Sans doute fallait-il un ouvrage lyrique qui interroge le rapport malsain du régime nazi avec les opéras de Wagner et l’antisémitisme du compositeur allemand. Mais ce qui apparaît au sein d’un Festival comme un pertinent commentaire de l'œuvre de Wagner, devient, en tant que spectacle autonome de la saison de l’Opéra de Nantes, une pâle leçon historique et un ouvrage dénué de force et d’enjeux dramatiques. En 2013 comme en 2021, Siegfried, nocturne arrive trop tard. L’opéra ne prend pas en compte les enjeux actuels de l’Allemagne d’aujourd’hui, et répète de façon scolaire les réflexions entamées soixante-dix ans plus tôt par des livres comme Doktor Faustus de Thomas Mann ou la philosophie d’Adorno.


Siegfried, Nocturne (Générale Piano) ©Jean-Marie Jagu

Le livret d’Olivier Py se gorge de mots, aligne les concepts et les vastes interrogations avec une fièvre toute romantique. Dans ce Requiem très bavard, les images attendues se doublent d’un traitement illustratif sur scène. On apercevra ainsi des vidéos de Berlin bombardé, un panneau du mot Germania dans une typographie gothique jusqu’à des images du portique Arbeit macht frei. Seule fulgurance visuelle, lorsque Siegfried (représenté par le danseur Matthieu Coulon Faudemer) troque son épée médiévale pour un fusil. Rien n’interroge vraiment dans ce catalogue d’images déjà vues, au contraire tout est comme plaqué sur un tableau d’école.

Si Olivier Py tente de retrouver la force perdue des mots, la musique de Michael Jarrell se refuse, elle, à toute expressivité. Malgré le geste énergique du chef Pascal Rophé, à la tête d’une poignée de musiciens de l’Orchestre National des Pays de la Loire,  il n’y a finalement que très peu à incarner ou à jouer dans ce Siegfried, nocturne. En Allemagne, des compositeurs plus âgés comme Helmut Lachenmann ou plus jeunes que Michael Jarrell comme Johannes Kreidler ont trouvé des moyens personnels pour « surmonter » la crise de la musique allemande. Durant cette heure de musique grisailleuse, Jarrell se contente de tensions / détentes professionnelles ponctuées d’épisodes électroniques insignifiants. L’œuvre s’écoute dans un doux ronron  académique. Un comble pour un ouvrage qui prétendait interroger le sens et la  nécessité des opéras de Wagner.

Laurent Vilarem
19/10/2021, Théâtre Graslin, Nantes

© Jean-Marie Jagu

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